Ainsi donc, voici gravi un palier de plus dans l’escalade entre d’un côté le chef de l’État et de l’autre, le chef du gouvernement et Ennahdha. La demande de la réunion de ce Conseil national de sécurité pour examiner la présomption d’existence d’un appareil sécuritaire au sein du mouvement Ennahdha a été faite par le collectif de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi dans sa conférence de presse du 2 octobre 2018.
Des révélations touffues exprimées ce jour-là associaient la suspicion d’une « chambre noire » renfermant une multitude de documents et de pièces à conviction sur les assassinats, avec l’accusation d’une dissimulation au cœur du mouvement Ennahdha d’une cellule sécuritaire.
Dans la mesure où la présence d’une chambre noire (en français on dirait une remise ou un débarras) a été confirmée par l’inspection inopinée d’un juge d’instruction du bureau 12 et cela malgré tous les démentis, le collectif et ses soutiens semblent assurer par symétrie qu’inévitablement il sera démontré que cet appareil clandestin existe bien d’autant plus qu’il a connu par le passé une longue activité attestée par des responsables nahdhaouis.
Mais aujourd’hui ? Nul ne sait s’il y a bien une cellule clandestine et quelle est sa nature, militaire, milice d’hommes de main ou organisation du maillage territorial de réseau nahdhaoui… D’étape en étape, de petites informations sont rajoutées par le collectif, la dernière en date étant le nom du chef de cette supposée cellule, un très proche parent de Rached Ghannouchi.
Seule une enquête qui aurait dû être diligentée immédiatement à la suite de ces accusations, par un tribunal civil ad hoc sur la réquisition du Ministère public, aurait pu amorcer une vérification. Rien n’a été fait jusqu’ici et on comprend que de guerre lasse et en désespoir de cause, le collectif se soit tourné vers le président de la République pour qu’il réunisse le Conseil national de sécurité.
Ce dernier instauré par un décret en janvier 2017 est en effet présidé par le chef de l’État. Il est formé de quatorze Commissions présidées par des ministres de chacun des domaines de ces Commissions. Le chef du gouvernement lui-même s’y trouve être représenté au niveau d’un Centre national de renseignement qu’il ne préside pas directement lui-même et au niveau d’une Commission de sécurisation de la vie politique !
C’est le Centre de renseignement qui supervisera l’enquête sur l’appareil sécuritaire, enquête confiée à une Commission de vérification instruite pour la circonstance. Le chef du gouvernement, qui a autorité sur le Centre de renseignement, se trouve dès lors en responsabilité indirecte de cette enquête diligentée contre le parti Ennahdha qui le parraine au gouvernement.
Alors que « son » ministère de la Justice, où il vient de nommer un titulaire présenté comme plus complaisant que le précédent, n’a pas bougé d’un pouce jusqu’à présent pour répondre à la plainte du collectif, voilà que cette plainte revient au visage du chef du gouvernement par sa propre position au sein du Conseil national de sécurité.
C’est un drôle de tour de passe-passe que vient de jouer le chef de l’État. On comprend dès lors que ce soit lui qui ait insisté auprès du collectif pour le recevoir et non pas l’inverse, comme l’affirme en particulier le professeur de droit constitutionnel Jawhar Ben Mbarek.
D’après un article du juriste Mohamed Haddad sur le Conseil national de sécurité, ce dernier a été dès le départ un « enjeu de pouvoir entre la Kasbah et Carthage », d’autant plus que le « flou juridique entourant la notion de sécurité nationale » permet de rendre extensible cette notion à des questions comme celle des stupéfiants, de la sécurité alimentaire, etc. De cette façon le chef de l’État, qui aurait lui-même élargi ce conseil à pléthore de Commissions, se réservait ainsi la possibilité de tenir en quelque sorte des Conseils ministériels parallèles.
Dans la petite vidéo postée à l’occasion de la réunion du Conseil le 29 novembre, le chef de l’État pavoise et sous couvert d’être dans le devoir d’écouter tout le monde, il en profite pour faire de l’ombre à son chef de gouvernement très mal à l’aise et pour décocher ses propres munitions contre Ennahdha qui l’a menacé : il n’y aura pas de clémence !
Nous voilà donc très loin de l’établissement de la vérité sur les assassinats politiques que le président de la République avait promis à Basma Belaïd au tout début de son magistère.
C’est seulement quatre années après que le président se réveille, au plus fort de la guerre de pouvoir qui l’oppose au mouvement Ennahdha et à Youssef Chahed depuis que le parti islamiste n’a pas voulu obtempérer -comme le sommait le chef de l’État - à l’article 64 du Pacte de Carthage II réclamant le limogeage du chef du gouvernement, concurrent impitoyable de Hafedh Caïd Essebsi dans la prochaine aventure présidentielle.
Le lecteur-citoyen suit certainement l’imbroglio de ce jeu terrible : connaissez-vous le jeu de « Jenga » ou jeu de « La tour infernale », où chaque joueur retire et pose une pièce tout en maintenant l’équilibre de la tour… avant qu’elle ne s’effondre !