Une minorité de personnes lit Marguerite Yourcenar, mais la plupart la connaît de nom et de réputation. Ses écrits font l’unanimité, drainant une foule de lecteurs admirateurs, aussi bien ceux de la première période d’écriture et phase de jeunesse : « Alexis ou le traité du vain combat »et « Le Coup de Grâce »en 1939 ? , que ceux de la deuxième période de maturité et de célébrité : « Mémoires d’Hadrien »(1951) et « L’œuvre au noir »’1968). Une écriture au cours d’une époque qui la démarque de ses contemporaines : Sarraute, De Beauvoir, Duras, et ..Les raisons pullulent mais ne justifient pas la personnalité : orpheline de mère dés la naissance, ascendance aristocratique et origine européenne multiple, choix spécifique de personnages singuliers atypiques, souvent asexués ou désaxés, marginalisés par leur seule différence fondamentale.
Marg alias Marguerite, son nom d’emprunt qui dissimule de multiples sensations, s’est aussi distinguée par ses prises de position humanitaire et sa protection de la nature et de l’environnement, sa défense des animaux, ses voyages permanents pour la connaissance du monde et la compréhension de l’homme, son cosmopolitisme et ses voyages paradisiaques !
Forgeant ainsi une carrière d’écrivaine itinérante, optant pour le déplacement et le dépaysement incessants. Elle a le mérite d’avoir été la première femme écrivaine à siéger à l’académie française, prenant la relève et la place du célèbre homme de lettres, Roger Caillois, qui lui fit un prodigieux éloge à l’entrée et à qui elle rendit la pareille par un discours prodigieux en mettant sur un piédestal son amour du minéral, des roches et des pierres , avant d’occuper le fameux fauteuil rouge de son cher prédécesseur !
Pour l’anecdote, Marguerite-Marg devait, comme examen d’entrée, définir un mot du dictionnaire choisi par hasard par l’assemblée, comme prémisse d’admission !Du coup, on tomba sur le mot « folle », ce qui gêna terriblement l’assistance composée essentiellement de vieux messieurs !Avisés et affables, évitant surtout de heurter la sensibilité d’une si grande dame, ils se concertèrent en aparté et se décidèrent pour le terme »fol » !Marguerite obtempéra en parodiant : »Souvent femme varie bien fol qui s’y fie » et en déclinant le mot sous toutes ses formes et tous ses sens, suscitant l’admiration de son auditoire, pendant presque vingt minutes. Le quiproquo fut levé et l’assentiment général teinté de soulagement.
Ainsi, « L’Ourse » succéda à « La Caille » qui voltige par-delà les cieux et par-delà son héritage ancestral, issu de feu son père, Michel de Crayencour, un illustre dandy érudit de l’héritage culturel de la connaissance antique. Que d’efforts prodigués pour former l’esprit et cultiver sa précieuse fille, qui n’a jamais fait ses humanités, pareille en cela à Mauriac, qui avait un précepteur à domicile qui lui apprenait les langues anciennes, latin et grec, l’italien, etc. Malgré son public de lecteurs restreint et sélect, Marguerite voguait vers le large infini et croissait comme un fruit savoureux au soleil ! Insatiable et crue, elle se délectait au contact de l’art et de la littérature, s’épanchant sur le désarroi de la condition humaine.
La consécration arrive enfin sur le tard : avançant à pas de titan, elle vole enfin de ses propres ailes vers le chemin de la liberté Peu avant son entrée à l’Académie française, suivie de l’édition de ses romans dans la bibliothèque de la. Pléiade. 1987 marque l’au revoir à la figure vivante de Yourcenar. Au terme d’un siècle qui lui-même s’achève, il accompagne l’œuvre vers une indubitable postérité. Vingt-sept années ont passé depuis sa brusque disparition, le 18 décembre 1987 ! Le 18 décembre 2009, je soutenais ma thèse de doctorat international, sur le personnage dans trois textes yourcenariens, devant un jury sévèrement yourcenarien : Université François Rabelais à Tours. C’est le Temps du bilan, du retour sur soi et d’une nouvelle vision du monde, d’une spirale qui contourne le moi et d’un passage vibrant d’un siècle à un autre. Avec une évidence incontournable : à n’avoir jamais de son vivant cherché à être d’actualité, l’écrivaine est demeurée constamment vivante !
….Aujourd’hui Marg de Crayencour est morte, ou peut-être hier ou demain, mais Marguerite Yourcenar nous habite et gît en nous, altière et hautaine comme toujours ! Elle est debout sur l’autre rive, le regard bleu étincelant fixant l’horizon, le sourire narquois narguant l’univers et la bouche vermeil striée de ridules douces et rieuses.
Un châle blanc recouvre ses épaules, un foulard rouge noué autour du coup et une cape noire recouvre son corps en entier….Elle sourit avec douceur, écrasant les obstacles et bravant les interdits, hors normes et hors frontières, nantie de cette chaleur douce qui diffuse ses notes de lectures enlisées dans les limbes de l’écriture…. Douce Folie, qu’incarnes-tu un jour ??