Introduction :
Le centre d’intérêt,, dans le cadre de notre étude, porte sur l’impact de l’écriture de l’islam sur la littérature tunisienne d’expression française, a pour thème les premiers textes de l’écrivain tunisien Abdelwahab Meddeb(1946-2014), né à Tunis et vivant à Paris.
Bien que parfaitement bilingue, l’auteur a choisi d’écrire en français, dont il a fait sa langue d’exil et d’adoption. Extrêmement marqué par l’inspiration soufie du mystique Ibn Arabi et par le contexte arabo-musulman ; Meddeb s’adonne à tous les genres littéraires, un mélange de réflexion et d’érudition. Poète, essayiste, romancier, penseur et historien de l’art, il était aussi enseignant-chercheur, obnubilé par la publication de textes divers et variés sur le cheminement de la pensée musulmane à travers les siècles.
Le point fort de cet écrivain qui a adopté la langue française comme pièce « matrice » et véhiculaire d’un style d’idées et de concepts transmis à un auditoire hétérogène. Et avide de comprendre les arcanes authentiques de la religion islamique, ses messages et ses valeurs et le sens réel de son livre sacré : le Coran. Ainsi, Meddeb crée son propre type littéraire ; celui d’une littérature de l’exil et du déplacement, porteuse d’une parole itinérante et d’une identité plurielle.
1-Littérature et Exil :
Le thème de l’exil, parsemé d’étrangeté et d’errance perpétuelle d’un individu lors de sa quête identitaire, aboutit à une série d’espaces clos et ouverts, perçus d’une manière significative dans ces textes de Meddeb….
Nous y percevons une entrefilade d’interférences culturelles, ambigües et floues, exprimées dans un contexte d’abord maghrébin restreint, puis oriental et africain au sens étendu du terme. Dans une langue étrangère et empruntée, volontairement choisie car sciemment voulue et désignée. Insérés dans un cadre occidental parfois engoncé à l’extrême, l’impression feutrée d’une ininquiétude malaisée se dégage de l’attitude des personnages-clés de ces écrits, -on cite l’enfant, l’adolescent, l’étudiant, le voyageur curieux, le penseur en quête de vérité, l’obsédé sexuel, le flâneur curieux, le personnage féminin Aya, etc.-qui errent et circulent dans une double généalogie et ville-Paris, Tunis…-à la recherche de leur véritable identité, d’un symbole perdu et d’un indice spirituel qui favoriserait leur intégration, à la fois fictive et réelle. Exprimant leur désarroi dans une langue libératrice, qu’ils se sont appropriée d’une manière aisée et familière.
Nous distinguons, à travers le vocabulaire utilisé et les interstices du non-dit dans les paroles émises par les personnages meddebiens, -où le dialogue cède souvent la place à un soliloque-une prise de position réprobatrice de visiteurs biculturels, à la fois étranges et étrangers, qui déambulent dans une ville d’exception : Paris ! Ses une rues, ses jardins et ses monuments ; à l’affût de la moindre trace islamique, marquée dans les mosquées, pierre, gravure, stèle et portique….
L’attitude inspective et expectative du personnage-narrateur itinérant souvent varie, passant de l’hébétude à l’exaltation. Elle revêt une attitude hostile et défensive, adorant et abjurant à la fois la différence et l’écart culturel dans cette terre d’adoption tellement différente de leurs origines.
Ils adoptent la langue de l’autre-le français- qui fait front à une langue arabo-musulmane, issue d’une société maghrébine désuète. Et qui évolue dans un schéma stéréotypé condamné par l’auteur. Car il perpétue une tradition islamique désuète-selon Meddebdas ses écrits-controversée par une langue occidentale car universelle, éliminant d’emblée l’ensemble des tabous et des préjugés véhiculés par la langue première : celle des origines !
2-L’Enjeu Islamique :
Dans Talismano et Phantasia, l’enjeu de la vision et tradition islamique réside dans une thématique réductrice, à la fois simple et complexe. Il suffit de comprendre à travers les manipulations et tournures de la langue française, utilisée par Meddeb, les différents types de langage et d’écriture hachée saccadée et éruptive ; transmis à travers le pouvoir sacré de la langue française !Ce langage codé et recherché possède des connotations et des sonorités étrangères, propres à la langue arabe et au contexte tuniso-musulman. On perçoit, à travers la voix d’un libre penseur laïque-qui est le personnage actant-corseté par son ascendance arabe et sa mentalité européenne, forme de rejet-refus de certains fondements sclérosés !
Ayant grandi dans un espace familial clos, conservateur et rigide du point de vue culturel et religieux, dans une ville d’aspect ouvert et accueillant, la fameuse Tunis ou tounès du nom d’une femme berbère esclave, Meddeb a reçu une éducation stricte et démesurée-l’hybris-, ayant réussi le pari d’échapper à son étau étouffant et à son maillon de chaînes en se dissociant d’eux et en fuyant à l’étranger, dans la ville-phare :Paris. L’accomplissement individuel se concrétise ainsi à travers la tentation du voyage européen et l’acte salvateur de l’écriture libre.
Bien que nanti en Tunisie et porteur de la richesse arabo-musulmane, l’écrivain optera pour le statut d’expatrié et d’intellectuel, rebelle et novateur, qui offre une nouvelle lecture d’un Islam tolérant et modéré ; fuyant ainsi la palette de répression et d’autocensure des autres auteurs maghrébins d’expression française.
Il existe inéluctablement un entrelacement de la politique et de la littérature, au sens religieux et réformateur de la pensée dans la société arabo- musulmane.
En Tunisie, à l’ère de l’indépendance, la production littéraire d’expression française se faisait rare et n’était pas du ressort des autochtones. Elle fut profuse grâce à la promulgation des littératures francophones dans les pays d’Afrique –le mot francophonie a été créé en 1956 par les présidents africains, Habib Bourguiba et Léopold Senghor…..-On observe que le contexte sociopolitique maghrébin constitue un amalgame de confluents culturels !
Aussi, l’écrivain abandonne-t-il sa langue initiale pour pénétrer dans la langue de l’autre, créant ainsi un déracinement linguistique et un dilemme dans son mode d’écriture. Pour MEDDEB, le français serait une catharsis profonde, qui confirme sa dualité d’écrivain biculture, citoyen du monde et partisan de l’exil. SINE DIE, le politique ne peut que s’associer à l’entrecroisement et juxtaposition des cultures plurielles pour fusionner en une littérature de langue française, dont l’embryon est l’islam, l’instrument l’arabe et le dialecte tunisien….
3-TALISMANO ET PHANTASIA, emblèmes littéraires de Meddeb :
Bien que résidant à Paris, Meddeb s’est toujours tenu en marge des écrivains traditionnels de la littérature maghrébine. Il n’a cesse d’explorer, dans ses deux premiers textes éclaireurs : Talismano(1979) et Phantasia(1986), les étapes et fruits de son expérience antérieure, en exorcisant les tabous et frustrations accumulées depuis sa tendre enfance, à travers la poétique e d’une écriture expressive et délibérément subversive.
Dans PHANTASIA, le personnage-narrateur est fixé sur la décharge émotionnelle et la description d’une écriture explosive, basée sur le refus d’une zone linguistique intermédiaire et sur l’artéfact d’une éducation sévère engrangée dans un milieu religieux étouffant .Installé à Paris, ville-refuge, le narrateur retourne au cours d’un bref séjour en avion à Tunis, la ville de son enfance. Il se remémore des faits, poursuit ses pérégrinations à travers les dédales de la ville moderne et médite fortement en refaisant le même itinéraire que jadis dans les ruelles et impasses de la médina de Tunis.
Longtemps évoquée dans TALISMANO, la vieille ville et ses mystères revinrent soudainement peuplés d’ombres du passé et de rêves fantasmagoriques. Le personnage en visite traverse avec fulgurance les pavés des rues, mue par son sentiment d’étrangeté étrange ! Une sensation bizarre de transfert le traverse et le transpose ailleurs. Il se retrouve marchant dans les rues lumineuses de Paris, contemplant ses merveilles et ses richesses. Son esprit erre, à la recherche de la silhouette d’Aya, symbole de la femme tant aimée, une ombre qu’il suit pas à pas, exhibant ses désirs érotiques après avoir tergiversé avec les rêves d’antan de Tunis….
Déniant qu’il existe réellement une société accordée avec la psychologie des personnages, le personnage-narrateur raconte, avec force désinvolture, sa flânerie diurne dans Paris ; obsédé par la poursuite d’une femme incernable .Aya incarne la femme éternelle-Sourate coranique qui revêt l’image de la femme aimée-elle lui suggère des réflexions détonantes sur des notions d’histoire de l’art, de psychologie et d’esthétique architecturale…Il se creuse l’esprit en essayant de capter la possible fusion des langues arabe et française, leur dimension titanesque à travers le syllogisme, la parenté et l’homonymie des mots !Le dialogue avec le lecteur s’enclenche, fondé sur les religions monothéistes et les croyances, ainsi que leurs avatars.
On remarque, dans ces deux textes, une similarité au niveau de la déambulation du personnage-narrateur, qui a souvent les sens aiguisés et le regard à l’affût, captant la sensation qui transfigure l’âme et l’idée qui éclaire l’esprit….Cet aspect se manifeste à travers la saisie des objets, qui fascinent par leur familiarité avec l’ici et l’ailleurs-le hic et le nunc-le personnage est le « voyant » tel que l’a décrit RIMBAUD !
Ainsi, Meddeb se caractérise par une écriture rébarbative et de contestation obsédante, au point que la littérature tunisienne d’expression française, nimbée de révolte sur le véritable sens religieux de l’Islam, fait tâche d’huile face à l’occidentalisme laïque.
CONCLUSION :
Il demeure indéniable que Meddeb vit un état intérieur de déchirement et d’éclatement personnel visible dans sa condition d’écrivain Vivant par choix l’exil, il assimile complètement le français comme sa deuxième langue et manipule les rudiments d’un islam réformateur, clément et rédempteur. .Il en est l’incarnation divine, sacro-sainte…..
Fuyant une société dépassée et sclérosée, il s’évade par-delà les frontières ; guidé par son imaginaire fécond, son immense érudition et sa plume libre et subversive .Son écriture se déplace d’un espace fermé et stéréotypé pour plonger dans un espace ouvert et libéré, muni d’un dynamisme individuel et culturel. Ainsi, la clôture devient ouverture sur l’univers et la fantaisie exhume ses secrets les plus exutoires ; pareille en cela à un Talisman doré.