Quand je pense à notre pays, aux moments difficiles et complexes qu’il traverse, quand la peine me saisit en voyant comment face aux grands défis on apporte de petites solutions et comment face à la difficulté on préfère le pis-aller, condamnant l’avenir à s’épuiser dans le présent et les générations actuelles à manger leurs enfants, alors me revient une scène, une seule et le nuage se dissipe et je reprends espoir en me disant qu’ il ne faut jamais se résoudre aux apparences des choses, car ce pays et son peuple ont traversé bien de sombres moments et bien de difficultés mettant en danger leur existence même et ils s’en sont finalement sortis.
Dans les années 1840-1847, le Dahra et l’Atlas blidéen en insurrection subissent une agression terrible. Le général Bugeaud y a déplacé plus de 15.000 hommes, ses colonnes expéditionnaires passent tel un rouleau compresseur avec leurs razzias dévastatrices associant destruction des infrastructures de vie aux pillages, aux prises d’otages et finissent par anéantir toute capacité de résistances des populations. Le Dahra sombre dans le silence et l’accablement. Les Français croient alors en avoir définitivement fini avec ces montagnes tumultueuses, avec Ténès et Mazouna, avec les Bni Menacer, les Ouled Younes et les fiers Sbeha. Depuis son campement, un soldat français raconte :
« Du reste, il faut le dire, les Arabes sont bien démoralisés, bien malheureux surtout; l’on marche tout un long jour sans voir un seul cavalier, excepté toutefois celui qui, à chaque ravitaillement, à chaque passage de colonne, apparait au sommet du pic de Mouzaïa; il proteste toujours par un coup de fusil contre l’occupation de son pays et fuit au galop; ce doit être le même depuis dix ans.»
Étrange bonhomme n’est-ce pas ? Chaque soir, il se pointe en haut d’une colline pour rappeler que la résistance de son peuple n’est pas morte, qu’elle ne peut être la proie des armes ou des oukases, qu’elle appartient à sa conscience d’être, nourrie par la longue histoire, par le désir irréfragable de vivre dans le respect de sa dignité, de ses croyances et de ses espérances. Étrange esprit rebelle n’est-ce pas ? Je crois pour ma part que c’est à cet esprit pétri de fierté et d’orgueil que nous devons d’avoir survécu aux désastres comme peuple et comme nation. Un pays grandit par le dynamisme de ses forces vitales, par l’amour des siens et leur engagement à le préserver, faute de quoi il disparait dans le tumulte du monde.
Je voulais exprimer ma solidarité à Ihsan El Kadi et aux prisonniers politiques et me voilà racontant une histoire d’un autre temps. S’il leur arrivait de lire ces mots, qu’ils me pardonnent cet égarement, je voulais simplement rendre hommage à un Dahraoui anonyme dont l’histoire n’a retenu de son existence qu’un trait de feu telle une signature au bas d’une page.