Escalade nucléaire possible ? Ce que l’Europe risque

« La dissuasion est l’art de créer dans l’âme de l’ennemi éventuel la terreur de l’attaque. » Le Dr Folamour de Stanley Kubrick

Il est probablement juste d’affirmer que lorsque deux puissances nucléaires ou plus entrent en collision, même par le biais d’États mandataires, une crise nucléaire est déjà en cours. Ce point de vue est d’autant plus correct lorsque l’une ou les deux parties au conflit avec des armes nucléaires risquent leur intégrité soit territorialement, soit du point de vue du statut international, soit du point de vue de l’effondrement des institutions de l’État, soit même du point de vue de l’effondrement économique et social.

Malheureusement, dans le conflit en cours en Europe de l’Est, qui oppose les États-Unis, l’OTAN et l’Ukraine et la Russie d’autre part, des éléments fondamentaux tels que la sécurité territoriale, économique, sociale et institutionnelle des pays concernés sont en jeu. Dès le premier instant de son explosion, cette crise devait donc être considérée – au moins potentiellement – comme une crise nucléaire.

Il faut admettre que, à cet égard particulier et fondamental, la quasi-totalité des commentateurs et des experts des relations internationales et de la guerre ont sous-estimé les risques. On ne peut pas en dire autant, cependant, des décideurs des deux côtés, qui avaient, déjà à l’époque, une idée claire de ce à quoi le monde est susceptible d’être confronté. Cela peut être argumenté parce que dès les premiers jours après le début de l'"opération militaire spéciale » en Ukraine, les Américains et l’OTAN avaient commencé à faire fuiter dans les médias de masse le doute que les Russes puissent utiliser une arme nucléaire tactique comme une forme de dissuasion préventive (escalade à désescalade), c’est-à-dire pour montrer à l’adversaire la volonté de procéder par tous les moyens nécessaires et donc, en fin de compte, l’intimider avec sa propre dissuasion.

On peut également dire que ce point de vue n’était pas faux sur la base de ce qui s’est passé le 27 février 2022, lorsque Poutine a ordonné devant la caméra au ministre de la Défense Sergueï Choïgou et au chef d’état-major Valery Gerasimov de placer les forces de dissuasion des forces armées russes (y compris les armes nucléaires) dans un « régime spécial de service de combat », avec la motivation que « les pays occidentaux ne prennent pas seulement des mesures hostiles contre notre pays dans le domaine économique, je veux dire les sanctions dont tout le monde est bien conscient, mais aussi les hauts responsables des principaux pays de l’OTAN font des déclarations agressives contre notre pays ».

Depuis lors, il y a eu une augmentation lente mais inexorable du risque de confrontation nucléaire entre les États-Unis, l’OTAN et la Russie ; Je pense que nous pourrions parler de bradyséisme nucléaire en cours où, mutatis mutandis, le magma nucléaire présent dans le chaudron du conflit pousse vers le haut, augmentant le risque de confrontation nucléaire.

Du côté russe, les moments certainement fondamentaux de cette escalade du risque nucléaire ont été, outre la « préparation au combat » de la dissuasion nucléaire le 27 février 2022, le transfert d’armes nucléaires tactiques à la Biélorussie qui a eu lieu à partir du premier semestre 2023 et les exercices avec des armes nucléaires tactiques en Russie mais à la frontière avec l’Ukraine qui ont commencé dans la seconde moitié de mai de cette année et sont toujours en cours.

Cependant, même les Américains et l’OTAN n’ont pas chômé pour observer les mouvements des Russes. Dès le début, ils ont ramené en Europe les bombardiers stratégiques B-52 à capacité nucléaire, ils ont également ramené les bombardiers B-2 et surtout ils ont accordé aux Ukrainiens des armes à capacités nucléaires (même si ce n’est que potentielle) comme les missiles britanniques Storm-Shadow ou les SCALP franco-italiens. Il en va de même pour la promesse (jusqu’à présent) de livraison de chasseurs-bombardiers F-16 à l’Ukraine par les pays de l’OTAN : il s’agit d’avions – comme nous l’avons noté dès le début – approuvés pour le transport de bombes nucléaires tactiques et en fait Sergueï Lavrov lui-même a déclaré qu’une fois en vol au-dessus du ciel ukrainien, ils seront considérés par Moscou comme une menace nucléaire potentielle. Enfin, il convient de rappeler que la Pologne a demandé à l’OTAN de déployer sur son territoire et donc à la frontière avec la Russie et la Biélorussie, des armes nucléaires à double clé, c’est-à-dire activées uniquement avec le consentement du pays hôte (dans le cas de la Pologne) et du propriétaire de l’arme (les États-Unis et/ou l’OTAN).

Il convient également de préciser que la posture nucléaire des États-Unis et de l’OTAN est très agressive depuis de nombreuses années (bien avant le début du conflit en Ukraine), en particulier envers Moscou. En effet, le bouclier antimissile de l’OTAN est actif en Europe depuis des années, composé d’un système radar d’alerte précoce en Turquie et de deux batteries terrestres, l’une dans la base roumaine de Desevelu en Roumanie et l’autre Redzikowo en Pologne (très proche de l’enclave russe de Kaliningrad) en plus de toutes les batteries antimissiles présentes dans les flottes des pays de l’OTAN et donc mobiles par définition. Un bouclier antimissile qui a immédiatement rendu furieux les Russes, non seulement parce qu’il a pour fonction d’abattre les missiles russes à courte et moyenne portée, mais aussi parce que les batteries peuvent également être utilisées comme outil offensif si elles sont chargées de missiles de croisière.

En outre, depuis 2015, les États-Unis ont décidé de remplacer les anciennes bombes nucléaires lancées par air par les bombes nucléaires B61-12 nouvellement développées. Ce sont des instruments « philosophiquement » très dangereux car ils permettent d’ajuster la puissance de l’explosion d’un minimum de 0,3 kilotonne à un maximum de 50 kilotonnes et par conséquent ils pourraient être utilisés presque comme des bombes conventionnelles. À cet égard, je voudrais souligner une belle interview du général Fabio Mini dans laquelle il illustre que dans la vision de l’OTAN, les bombes nucléaires tactiques doivent être considérées comme de simples armes conventionnelles et sont en fait à l’entière disposition du SACEUR ou du commandant militaire de l’OTAN, qui - soit dit en passant - est toujours américain, en ce moment le général Christopher Cavoli.

Dans cette situation déjà incandescente - bien qu’elle ait été gardée sous silence par presque tous les commentateurs - il y a eu, ces derniers jours, de nouveaux épisodes de la plus grande gravité qui devraient alarmer toute personne sensée.

Tout d’abord, l’accusation du porte-parole du Pentagone, Patrick Ryder, selon laquelle : « La Russie a lancé un satellite en orbite terrestre basse qui, selon nous, est probablement une arme antispatiale, vraisemblablement capable d’attaquer d’autres satellites en orbite terrestre basse. » Il s’agit d’une accusation très grave car elle empêcherait les États-Unis (s’ils étaient utilisés) de détecter le lancement éventuel de missiles nucléaires contre leur territoire, et rendrait donc possible une première frappe qui paralyserait le pays rendant impossible une riposte crédible. Il faut dire que les Russes, conscients de la gravité de l’accusation, ont nié l’affaire avec des mots très fermes du vice-ministre des Affaires étrangères Sergueï Ryabkov.

Le déni n’était pas suffisant, étant donné que vendredi dernier - inutile de le dire à dessein - des drones ukrainiens ont attaqué les structures d’antenne du radar d’alerte précoce Voronej-DM près d’Armavir, dans la région de Krasnodar. Il s’agit d’un acte très grave qui rend vulnérable le réseau de radars russes destinés à détecter l’arrivée de missiles stratégiques vers le pays. Il faut dire aussi que, selon la doctrine russe, de telles attaques doivent être considérées comme stratégiques car elles tendent à rendre la dissuasion nucléaire inoffensive. Soit dit en passant, ce sont exactement les mêmes considérations que les Américains font si quelqu’un menace leurs satellites d’alerte précoce. À ce stade, il semble inutile de souligner que les Ukrainiens dans leur attaque méchante ont agi sur ordre de quelqu’un d’autre puisque Kiev ne dispose ni d’armes nucléaires ni de moyens de transport adéquats pour leur utilisation.

Il ne nous reste plus qu’à examiner comment, selon les experts, toute guerre nucléaire commence précisément par la tentative d’aveugler le système d’alerte précoce de l’ennemi. Il n’y a pas grand-chose d’autre à ajouter, si ce n’est d’espérer que personne ne fait de faux mouvements ou des mouvements ambigus qui sont mal interprétés par l’ennemi.

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