La partie d’échecs le plus dangereuse de tous les temps

Dans cette désormais très longue crise géopolitique entre les États-Unis d’une part et la Russie et la Chine d’autre part, il y a un invité de taille qui est rarement évoqué ; je fais bien sûr référence à l’équilibre stratégique entre les superpuissances, qui est étroitement lié aux armes nucléaires stratégiques, c’est-à-dire celles capables de frapper au niveau intercontinental et donc à des milliers de kilomètres du point où elles sont positionnées.

Historiquement, l’utilisation de cet outil est considérée, tant par les militaires que par les spécialistes des questions stratégiques, comme la ligne rouge définitive, infranchissable, car elle signifierait la fin de la civilisation humaine. En effet, les deux principales superpuissances (les États-Unis et l’Union soviétique / Fédération de Russie) ont toujours établi des règles tacites mais aussi scellées par de véritables traités internationaux visant à maintenir un équilibre qui rendrait impossible pour l’une des deux parties contractantes de lancer une attaque capable de décapiter l’adversaire et de paralyser sa capacité à répondre à l’attaque subie.

Les accords les plus importants visant à limiter le risque d’une guerre nucléaire mondiale sont sans aucun doute les traités START (acronyme de Strategic Arms Reducation Treaty) : le premier traité START a été signé par les États-Unis et l’URSS en 1991 et prévoyait la réduction des ogives nucléaires des deux pays à un maximum de 6000 et à un maximum de missiles ICBM (missiles balistiques intercontinentaux).

Quelques mois après la signature de ce protocole, appelé START I, l’Union soviétique s’est effondrée et la Fédération de Russie, le Kazakhstan, la Biélorussie et l’Ukraine ont pris le relais. Ce traité a été suivi – parmi des événements alternés et très compliqués – par d’autres traités tels que START II, signé par Bush et Yeltcin à Moscou en 1993 et qui prévoyait l’interdiction de l’utilisation des ogives MIRV (un système de transport qui permet d’installer plusieurs ogives dans le missile ICBM au lieu d’une seule) ; ce traité a été approuvé en 1996 par le Sénat américain, mais n’est jamais entré en vigueur en raison des reports continus de la Russie en raison d’événements liés à la politique internationale (par exemple l’invasion de l’Irak et le bombardement de la Serbie et du Kosovo par l’OTAN), jusqu’à ce qu’il perde tout intérêt et tombe dans l’oubli malgré l’approbation formelle de la Russie en 2000.

Mais la tentative de réglementer cette question complexe et dangereuse n’a pas échoué, en fait, même avant l’entrée en vigueur de START II, les négociations pour START III ont commencé en 1997, mais ce traité n’a jamais vu le jour. Une autre tentative réussie a été le traité SORT, signé en 2002 à Moscou et qui interdisait l’installation d’ogives multiples dans les missiles grâce aux MIRV et limitait le nombre d’ogives à une portée comprise entre 1700 et 2200.

Plus près de nos jours, à Prague en 2010, Barack Obana et Dmitry Medved ont signé le soi-disant New START qui incorporait en fait START I et II et SORT. Les choses semblaient donc aller dans la bonne direction avec une diminution significative des ogives et des missiles ICBM ainsi qu’une interdiction de l’utilisation de plusieurs ogives MIRV. Cependant, même à ce niveau fondamental, les relations entre les superpuissances sont entrées sur une pente plutôt glissante, évidemment en raison du conflit qui a éclaté en Ukraine. En effet, en février 2023, Vladimir Poutine a annoncé la suspension par Moscou du traité NEW START (un traité qui expirera en 2026, il faut le rappeler). Une nouvelle sensationnelle justifiée par le président russe, justement, avec la gravité de la situation d’hostilité froide (ou presque) existant entre la Russie et les États-Unis.

Dans cette interminable et très dangereuse partie d’échecs avec la bombe, à ce stade, la balle est passée à Washington, qui a répondu de manière informelle ces derniers jours par l’intermédiaire de responsables qui ont anonymement fait des déclarations très importantes au magazine américain sur des questions stratégiques Semafor.com. Selon ces responsables, la Maison Blanche a décidé d’adopter une position plus compétitive vis-à-vis de la Chine et de la Russie afin de les amener à la table des « négociations nucléaires ». Il faut dire, par souci d’équité, que l’idée américaine d’ouvrir une table à trois doit être considérée comme juste, maintenant Pékin ne peut être exclu des traités relatifs à cette question étant devenu une puissance nucléaire du plus haut niveau.

Le premier mouvement américain de cette stratégie nucléaire la plus agressive est probablement l’étude et la construction d’une nouvelle bombe nucléaire gravitationnelle, appelée B61-13, qui se caractérise par une puissance bien supérieure à celle de la B61-12 de mémoire d’Obama : le nouvel appareil aurait en fait une puissance égale à 360 kilotonnes contrairement aux « seulement » 50 kilotonnes de la B61-12.

La stratégie américaine est agressive et ne fonctionne pas nécessairement, comme l’affirme Elena Panina, ancienne députée à la Douma pour le parti Russie unie et actuellement chercheuse à l’Institut d’études stratégiques internationales RUSSTRAT. En fait, la chercheuse affirme que la Chine n’a pas l’intention de s’asseoir à la table des négociations de quelque manière que ce soit car, selon elle, son potentiel nucléaire est plusieurs fois inférieur à celui des États-Unis, tandis que le Kremlin lie d’éventuelles négociations à un accord plus général entre la Russie et les États-Unis qui commence d’abord et avant tout par la résolution du conflit en Ukraine.

Ce que l’on peut déduire de ce jeu très dangereux, c’est que la stratégie américaine peut paradoxalement conduire à la course aux armements nucléaires qu’elle était censée éviter. Inutile de dire que cela constituerait une nouvelle variable très dangereuse dans la crise que nous traversons.

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