Du pain, des jeux et des glaviots

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Cet été 2016 aura été celui de tous les records : records de chaleur, certes, mais aussi records de peur, de fureur et de laideur.

Alors même que nous venions de nous faire enfiler dans les grandes largeurs par la loi « Travaille! » (et surtout, « ferme-la! ») et qu’il n’était pas possible de manifester notre légitime mécontentement pour des raisons de sécurité, d’effectifs, de calendrier ou de prurit anal, voilà que subitement la force publique trouvait tout ce qu’il fallait comme places, flics, moyens, voies de circulation pour réunir les foules transies dans l’adoration des Dieux du sport, à savoir une poignée de millionnaires capricieux en short qui courent après une balle.

Débarque un meurtrier de masse notoirement violent et déséquilibré dont la qualification de terroriste permettra fort commodément de prolonger l’état d’urgence pour toute la campagne présidentielle en voie de gestation avancée. Puis les Dieux du Stade, à savoir des types payés peau de balle qui se sont entrainés comme des tarés pendant des années pour une médaille en chocolat pendant que d’autres types assez peu au fait des saines valeurs du sport et de l’émulation se sont fait des milliards de dollars de profit sur leur dos et celui des habitants d’un pays qui n’avait pas besoin d’une calamité de plus. Le seul truc vaguement réjouissant, c’était de voir, pour changer, des tas de blancs bien nourris et bien équipés nager dans un océan de merde au sens littéral.

Déjà, un tableau bien pathétique des vacances d’été à côté duquel les épisodes caniculaires font l’effet de rafraichissantes plaisanteries.

Et voilà que pour ajouter une bonne rasade de kérosène sur les barbecs estivaux qui n’en demandaient pas tant, on nous sort le coup du burkini.

Mon point Godwin dans ta gueule

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Le point Godwin est parfois d’une absolue nécessité.

Quand le tsunami de bouses a commencé, la seule attitude rationnelle possible était de refuser de marcher dans la combine. La stratégie de la muléta était tellement évidente, tellement téléphonée, le tout dans un contexte d’hystérisation collective attisée par ce qu’il convient d’appeler sans détour du bon gros racisme d’état avec les tiges des bottes qui claquent sur les pavés qui tapissent nos plages mentales.

Franchement, l’essentiel a déjà été dit et écrit sur cette volonté de stigmatiser une partie de la population de notre pays lors de la non moins lamentable polémique de la burka.

Mais voilà, l’ostracisation délibérée des femmes « visiblement » d’une religion particulière sous des prétextes fallacieux a pondu de gros œufs dans la masse des cerveaux disponibles et a surtout permis de tellement distordre le principe fondamental de la laïcité dans notre inconscient républicain jusqu’à l’inverser dans son application, que cette nouvelle attaque essentiellement antidémocratique est passée comme une lettre à la poste.

Le principe réel et concret de la laïcité tel qu’il a été clairement énoncé en 1905, c’est que l’État ne se mêle plus de religion et fout une paix royale à chacun de ses citoyens quant à ses croyances et ses pratiques, de telle sorte que nul n’a plus besoin de se cacher pour vivre à sa façon le culte (ou le total manque de foi) de son choix. Et que donc seul l’État et ses agents dans l’exercice de leurs fonctions doivent observer une totale neutralité quant aux questions religieuses.

Or la loi le 1905 a donné la liberté aux religions. Hors atteinte manifeste, et qui doit être prouvée, à l’ordre public démocratique, elle ne les réprime pas. Cela suffisait à invalider l’arrêté. Le Conseil d’État a jugé que les maires ne peuvent restreindre les libertés qu’en cas de « risques avérés » pour l’ordre public. A Villeneuve-Loubet, porter des vêtements religieux à la plage est de nouveau autorisé. Dans les 30 autres communes ayant pris des arrêtés similaires, les arrêtés municipaux sont toujours en vigueur jusqu’à ce qu’ils soient contestés en justice.

Le Conseil d’État sur le burkini : pas de privation de liberté sans risque avéré, L’Opinion, 26 aout 2016

Et voilà qu’au nom de la foutue laïcité en peau de lapin, resaucée façon 2004, tranquillement, mais surement, on s’acharne à éjecter une partie de nos concitoyens — et plus spécifiquement (mais il n’y a là aucun hasard) de nos concitoyennes — de l’usage normal de l’espace et des services publics.
Avec comme un air de déjà vu

À partir de mai 1940, c’en était fini du bon temps, d’abord la guerre, la capitulation, l’entrée des Allemands, et nos misères, à nous les juifs, ont commencé. Les lois antijuives se sont succédé sans interruption et notre liberté de mouvement fut de plus en plus restreinte. Les juifs doivent porter l’étoile jaune ; les juifs doivent rendre leurs vélos, les juifs n’ont pas le droit de prendre le tram ; les juifs n’ont pas le droit de circuler en autobus, ni même dans une voiture particulière ; les juifs ne peuvent faire leurs courses que de trois heures à cinq heures, les juifs ne peuvent aller que chez un coiffeur juif ; les juifs n’ont pas le droit de sortir dans la rue de huit heures du soir à six heures du matin ; les juifs n’ont pas le droit de fréquenter les théâtres, les cinémas et autres lieux de divertissement ; les juifs n’ont pas le droit d’aller à la piscine, ou de jouer au tennis, au hockey ou à d’autres sports ; les juifs n’ont pas le droit de faire de l’aviron ; les juifs ne peuvent pratiquer aucune sorte de sport en public. Les juifs n’ont plus le droit de se tenir dans un jardin chez eux ou chez des amis après huit heures du soir ; les juifs n’ont pas le droit d’entrer chez des chrétiens ; les juifs doivent fréquenter des écoles juives, et ainsi de suite, voilà comment nous vivotions et il nous était interdit de faire ceci ou cela. Jacques me disait toujours : « Je n’ose plus rien faire, j’ai peur que ce soit interdit. »

Extrait du Journal d’Anne Franck du samedi 20 juin 1942, cité par la Revue des Ressources

Devoir de désolidarisation

Hier soir, j’ai vu le film Winter sleep où des personnages s’interrogent sur la manière dont il faut réagir au mal (certes, une valeur morale, mais quelque part aussi, une valeur absolue).

Du coup, j’ai fini par me dire que ne pas réagir face au mal — et surtout au mal exercé sur autrui et dont on est témoin — cela revient à être complice. À chaque attentat, notre lamentable société civile française somme les musulmans de se « désolidariser » des coupables… Là, pour le coup, je crois qu’il devient important pour les Français qui croient encore aux fondements de la République de se désolidariser haut et fort de leurs institutions et concitoyens qui se fascisent vitesse grand V.

Comment ne pas comprendre que l’interdit du burkini dans l’espace public (demain du hijab ?) est une attaque délibérée à caractère raciste/islamophobe et sexiste ? Les arrêtés municipaux ne sont d’ailleurs qu’une infime partie du problème. Éric Fassin observe à juste titre qu’il existe en France une politique de l’État qui discrimine certaines catégories de citoyens qui sont “ethnicisées” par des pratiques administratives (profile ethno-racial des “Noirs” et des “Arabes”), et à travers des déclarations publiques du personnel politique de droite, mais aussi de gauche13. Aujourd’hui, avec les interdits municipaux anti-burkinis, nous sommes passés au stade de la discrimination directe et explicite d’une population.

La gauche de l’entre-soi et le burkini, par Philippe Marlière, Contretemps du 26 aout 2016

Il y a une telle hystérie en France, une telle radicalisation malsaine de la pensée, une telle appétence pour l’invective, la haine, la stigmatisation, qu’il devient difficile de juste penser.

Dans un premier temps, tu te dis : Non, je ne vais pas marcher dans la combine, je ne vais pas ajouter de l’eau au moulin emballé qui brasse la merdasse, je ne vais pas me faire avoir par la stratégie de la muléta, me faire embarquer dans une polémique stérile pendant qu’il y a bien des choses plus graves à s’occuper et à débattre, les choses dont on veut nous détourner comme le chômage, l’explosion des inégalités et de la précarité, la dérégulation, la casse des droits sociaux, etc. Mais finalement, leur stratégie marche et elle se fait aux dépens de toute une partie de notre communauté nationale, elle se fait en nous montant encore plus les uns contre les autres et elle fait des dégâts. Dans nos esprits. Dans notre tissu social. Et dans la vie réelle des boucs émissaires du moment.

Si je n’en parle pas, du coup, je me retrouve à les passer en pertes et profits, à les traiter comme quantités négligeables et je conforte les haineux dans leur idée que la faiblesse de l’opposition à leurs idées moisies est un aveu implicite qu’ils ont raison, qu’ils disent tout haut ce que tout le monde pense tout bas.
Pile je perds, face, je l’ai dans l’os.

Attiser les bas instincts, c’est toujours le gambit gagnant, mais si je ferme ma gueule, au final, je valide.

Quelle merde!

Principe de liberté

On ne fait pas le bien de quelqu’un contre sa volonté. On ne libère personne en le traquant et en le forçant à se conformer à la majorité. Prétendre ce genre de chose est soit d’une bêtise profonde, soit d’un cynisme assumé.
On n’a jamais libéré aucune femme en lui prescrivant sa façon de s’habiller, de se tenir, de se comporter, en lui assignant des espaces réservés et en restreignant son accès à l’espace public. Ceux qui le font dans d’autres pays sont généralement qualifiés de barbares par ici… Comme quoi, la barbarie comme la démocratie sont des notions à géométrie variable.

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Cherchez l’erreur… ou plutôt la cible!

La seule manière d’aborder le problème est de savoir si nous sommes toujours des pays libres et démocratiques ou si notre mode de vie est tellement génial au quotidien que l’on doive entrer en croisade pour l’imposer aux autres… de la même manière que nous reprochons régulièrement aux autres de vouloir le faire avec nous.

La liberté de chacun commence là où on arrête de le faire chier et s’arrête là où il commence à faire chier les autres. Manifestement, dans ce pays, en ce moment, il y a des citoyens qui sont nettement plus libres que d’autres.

La liberté, c’est facile à comprendre, c’est comme un centre naturiste.

Chacun est invité à vivre exactement comme il le souhaite dans la mesure où il n’impose rien aux autres et où personne ne lui impose rien. Quand j’étais gosse, j’ai été gênée au début par la nudité démocratique et sans fards des naturistes. Ben oui, dans le monde d’où je venais, la nudité était réservée aux gens plutôt beaux, jeunes et bien faits et particulièrement aux femmes (pour vendre des bagnoles ou des perceuses). Là, il y avait un peu de tout : des jeunes, des vieux, des moches, des gros, des petits, des tannés, des rougeauds… et même des textiles, les gens qui préfèrent ne pas se baigner à poil, mais qui ont quand même envie de partager du temps à la plage avec les potes ou la famille. Y avait même des gens qui ne voulaient pas se baigner, des tout habillés ou juste le haut ou juste le bas. Il y avait même des gens qui ne venaient que pour se rincer l’œil. Ceux-là étaient plutôt gênants, en fait, et certains ont fini à la baille dans leur costard, mais globalement tout le monde était totalement libre de faire ce qu’il voulait tant qu’il ne faisait pas chier les autres : se couvrir ou pas, courir dans les dunes en se biflant les cuisses de joie, ne se désaper que pour aller à l’eau ou se trainer une serviette de bain pour s’assoir hygiéniquement à poil au resto ou au bistro.

Un jour, un nouveau règlement est passé interdisant de se balader autrement qu’à poil dans le centre. Il y avait même des vigiles à l’entrée pour te forcer à te déshabiller et d’autres qui faisaient barrage sur la plage.
Ça s’appelait toujours naturisme, il y avait toujours des gens à poil, mais en fait, l’esprit du naturisme, libertaire, joyeux, tolérant et ouvert, était mort. J’avais appris à apprécier la nudité, mais qu’on puisse me l’imposer la rendait juste sordide et triste.

Qu’importait mon rapport au corps — compliqué pour la quasi-totalité d’entre nous — pourvu qu’on me laissât en disposer à ma guise.

C’est ça la liberté, le féminisme, l’anarchisme et tout le bordel : nous lâcher les basques!

Et rien d’autre.

Et le fait qu’on puisse imaginer que la manière de se vêtir d’une personne puisse porter atteinte à la liberté ou la sécurité d’une autre montre à quel point nous avons perdu de vue ce qui est constitutif d’une démocratie.

La conclusion, le mieux est de la laisser aux principales intéressées qui ont un message pour les démocrates coloniaux-nostalgiques : Ne nous libérez pas, on s’en charge!

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