Révolution ou coup d'État ?
Quatre ans après les événements qui ont secoué le pays et précipité le départ de l'indéboulonnable dictateur, la question est devenue caduque, anecdotique, banalement rhétorique. Le coup de balai rêvé par une multitude d'opprimés s'est finalement transformé en une danse macabre de vieilles sorcières, le cul suspendu au-dessus de nos têtes, bien mis en évidence par le manche, comme un string. Le soulèvement des meurs-de-faim a été définitivement récupéré par les grosses panses aux têtes vides et aux poches pleines. Cette passation du pouvoir de la rue vers les salons feutrés marque le premier pavé dans la mare, le premier clou dans le cercueil de l'espoir.
Trop d'erreurs ont marqué le suivi de la gestation difficile de l'événement. La classe politique est en fait allée de bourdes grossières en faux pas calamiteux. Il est toutefois important de préciser que la rivalité politique n'est nullement à mettre en accusation. Le challenge doit exister, c'est la condition sine qua non de l'évolution et de la liberté. Mais ce qui a fait défaut à tous, certes à des degrés différents, est surtout la sagesse dans le traitement de la chose publique. Il est grand temps de réviser nos connaissances à propos des règles élémentaires de la démocratie. La véritable démocratie n'est pas la pluralité anarchique, jactante et nombriliste. Elle s'inscrit plutôt dans le débat d'idées lucide et respectueux.
En d'autres termes, ce qui définit la politique patriote et efficace, c'est très précisément sa capacité à gérer les crises, les conflits et surtout la différence. Or, à ce niveau, notre classe politique et ses affidés des médias, se sont avérés d'une indigence presque criminelle. Amateurisme, irresponsabilité, mégalomanie, machiavélisme et corruption... Telles sont les sources qui nourrissent la pourriture dans notre pays.
Au fil des querelles mesquines aux envolées rhétoriques destinées à chauffer la galerie à des fins strictement partisanes, s'est officialisé un discours hautement liberticide et dangereusement ségrégationniste. Cela ne devrait pas inquiéter sauf lorsque ça devient la norme. C'est ce qui est arrivé. Il en résulta une bipolarisation non seulement de la classe politique, mais désormais de la société scindée en deux blocs impatients d'en découdre.
Nous avions vu par le passé jusqu'où peut mener la passion aveugle même lorsqu'il s'agit de rivalité sportive. Or le conflit qui est nourri continuellement par les figures politiques et médiatiques est beaucoup plus dangereux. La vague de terrorisme aidant, la tentation est forte de diviser la société en partisans de la liberté et apôtres du chaos moyenâgeux. Ce clivage, à long terme, est beaucoup plus dangereux que le terrorisme, pour une raison que le bon sens ne peut pas nier, car ce discours est l'un des recruteurs les plus efficaces du terrorisme.
Les prophètes de la ségrégation ne s'embarrassent pas d'affirmer haut et fort que le terrorisme " islamiste " de Daech n'est nullement représentatif de l'islam authentique. Paradoxalement, tous leurs efforts pour combattre ce fléau paraissent voués surtout à l'encerclement de l'islam ou au moins à la provocation inconsciente de ceux qui y sont attachés.
Lorsqu'une personne publique, auréolée de sa notoriété de star du cinéma, affirme l'intention de lutter par l'intermédiaire de l'art contre le spectre du radicalisme - projet louable en soi- puis y va d'une provocation irresponsable en ajoutant que ceux qui sont indisposés par la vue de la nudité dans les films ou dans leur entourage immédiat n'ont qu'à rester chez eux, on est en droit de se demander quel jeu elle joue en réalité. Feint-elle d'oublier que les apprentis terroristes n'écument pas les salles de cinéma et que par son manque de tact et de clairvoyance elle est en train de s'aliéner la part encore hésitante de la jeunesse sur le point de se radicaliser ? Ne voit-elle pas qu'elle apporte de l'eau au moulin des takifiristes qui ne manqueront pas de récupérer ce discours pour prouver que l'art de cette société n'est rien que la décadence érigée en leitmotiv de création artistique ? Et le citoyen lambda dans tout ça ? Celui qui n'a rien d'un fondamentaliste mais qui est néanmoins convaincu que la pudeur est une vertu, que le cinéma n'est pas forcément un étalage gratuit de nudité, que l'élégance ne s'accomplit pas nécessairement dans le striptease, que la vraie beauté n'a pas à être tape à l'œil pour être appréciée, et qu'une réalisatrice, aussi talentueuse qu'elle soit, n'a pas à lui dicter ses goûts et ses dégoûts et surtout qu'absolument rien ne l'autorise à assigner à résidence un citoyen libre..Que doit-il penser de notre élite autoproclamée ?
La mégalomanie de certains de nos artistes n'a d'égal que la haine que beaucoup de nos corbeaux de l'écran vouent à tous ceux qui ont le culot de penser autrement. Nos journalistes s'estiment l'incarnation de la sagesse et de la vérité. Du moins pour ceux qui n'aident pas indirectement le terrorisme par leur corruption et leur empressement à défendre les thèses de tous ceux qui paient leurs services.
L'exemple le plus flagrant des auteurs de diarrhées médiatiques est le clown qui osa affirmer à l'écran que le Hamas a creusé un tunnel depuis Gaza pour joindre le Chaambi et favoriser les attentats terroristes. Les statistiques manquent hélas pour nous procurer le nombre exact des jeunes tunisiens qui ont dû rejoindre Daech après ce discours pour ne pas être obligés d'écouter davantage de pareilles insultes à l'intelligence des auditeurs et à leurs convictions et leur engagement historique dans la lutte de leurs frères palestiniens.
Nul besoin de multiplier les exemples de l'irresponsabilité de bon nombre de faux prophètes pour se rendre compte que la parole irresponsable est aussi criminelle que la parole racoleuse. On veut combattre un mal et on ne fait que le fortifier. Il y a certes des citoyens qui se reconnaissent dans les discours ségrégationnistes, mais il est fort improbable que la solution à nos problèmes soit dans cette bipolarisation inconcevable de la société.
Nous avons écouté certaines voix pendant assez longtemps pour les résultats que l'on connait. Il est grand temps de laisser entendre un autre son de cloches.