Comment je devins con... (3ème épisode)

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Le dernier jour de ma première année scolaire, le maitre avait décidé de tirer un dernier profit de son élève prodige et, par la même occasion, en mettre plein la vue à ses collègues qui n’avaient pas la chance de m’avoir dans leur classe. Il me fit apprendre, avec force gestes et mimiques dignes de la comedia del arte une tirade de remerciement comme je les déteste, dans laquelle il était question de gratitude envers mon vénéré maitre qui m’avait tout appris.

Mais j’étais déjà rebelle dans l’âme à six ans. Je m’en tirai fort bien dans les répétitions à huis clos ; mais quand le maitre, convaincu et rassuré par ma prestation, avait invité ses collègues à notre classe, ce fut un désastre. Ma réputation en prit certes un coup, mais je riais sous cape, ravi du mauvais tour joué au maitre.

Tant pis pour lui. S’il ne m’avait pas imposé sa tirade à la con, s’il avait juste invité ses collègues et m’avait demandé d’improviser quelque chose, j’aurais certainement fait sensation. Mais non, il fallait qu’il me forçât la main en m’imposant une musique que je n’avais pas écrite. Tant pis pour lui. Ma réputation, je saurais rapidement la remettre en valeur dès la rentrée, mais lui, il n’aura eu pas la satisfaction qu’il espérait à mes dépens.

Le premier coup dur que je reçus me vint de mon propre père. A la fin de ma première année, le conseil des maitres de l’école, en accord avec le directeur, avait décidé que, vu mon niveau supérieur à celui de tout le monde, je n’avais nul besoin de me taper le programme de la deuxième année, et qu’il était dans mon intérêt de sauter directement en troisième.

C’est le genre de truc qu’il ne faut surtout pas dire devant un gamin de six ans, premier de sa classe et bourreau officiel. Mon père en parla cependant sans grand enthousiasme, comme d’un sujet banal, tandis qu’il prenait son déjeuner, de retour du bureau. Interrogé par ma mère, il répondit qu’il avait décliné l’offre, arguant du fait que j’étais trop jeune pour être bombardé de cette manière en classe de troisième.

Ce fut la fin peu glorieuse d’un rêve né et mort entre deux cuillerées de couscous. Et moi qui me voyais déjà le maitre du monde. Tout de même... ! Si à cinq ans, en première, j’étais bourreau, à six ans, en troisième, je devais être empereur. Pas moins. Mais mon paternel, qui n’avait jamais été un génie, avait décidé que même les génies devaient suivre une scolarité ordinaire. Fallait pas me mettre à l’école à cinq ans alors... !

Un génie…Deux personnes au moins me l’avaient prédit. Le premier était feu mon grand-père maternel, cheikh et par conséquent excellent arabisant. Il avait pris l’habitude de me prendre à ses côtés pendant qu’il récitait ses ouerds quotidiens après m’avoir dicté un sujet d’expression écrite.

J’étais en troisième ou quatrième primaire. Quand j’avais fini, il me demandait de lui lire ma production car il était aveugle. Il me reprenait rarement sur un mot, une conjugaison défectueuse ou une faute de grammaire. Il avait alors l’habitude d’affirmer à ma mère que je serais sans l’ombre d’un doute une plume extraordinaire. Je rêvais alors d’une éclatante carrière de journaliste, avec plein de prix Pulitzer à la clé…Je lui dois d’avoir acquis une grande confiance en mes moyens à un âge très précoce...

Plusieurs années plus tard, ce fut mon prof d’éducation religieuse en cinquième année secondaire qui fit une prophétie semblable. Il était en train de nous remettre les copies du devoir et avait saisi l’occasion pour nous parler de l’émerveillement qu’il eut au sujet d’une copie exceptionnelle, disait-il. Une copie comme on en rencontre une dans toute une vie.

Je n’avais aucun doute sur l’auteur de la copie, même si, intérieurement, je me moquais éperdument de son émerveillement que je jugeais excessif. Je n’avais guère l’impression d’avoir produit une merveille. C’était juste que, ayant mal révisé pour l’examen, je pris la liberté de le traiter à ma manière, c’est-à-dire en comptant sur mes ressources personnelles, laissant tomber le cours que d’ailleurs j’étais incapable de me remémorer.

En me tendant ma copie, il me dit d’une voix qu’il rendit, peut-être volontairement, grotesquement théâtrale : « Tu es promis à un avenir prodigieux ». Il ignorait évidemment, ce cher éducateur, les terribles quolibets que sa phrase allait susciter dans notre petit monde d’adolescents prompts à la détente. C’était l’âge où il ne faisait pas bon d’être dans les bonnes grâces de l’ennemi.

La belle parabole prophétique fut évidemment détournée, plagiée et caricaturée d’une manière plutôt fleurie et je devins, pour quelque temps, la risée de tous les sous-doués de la classe.

(A suivre)

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