Les impératifs contre la redistribution des richesses dominent la politique contemporaine. Nous sommes aujourd'hui confrontés à une crise démocratique de la politique française, avec un système constitutionnel dans lequel les pouvoirs du président se sont étendus, mais qui ne tient pas compte de la transformation de la composition de la représentation parlementaire, qui avait tendance à être bipolaire (selon le schéma classique droite-gauche) et qui s'est fragmentée en un multipolarisme fluide, tripartisme, comme l'appelle l'économiste Thomas Piketty, dans lequel certains partis historiques ont pratiquement disparu, ou ont connu des scissions qui ont réduit leur poids, et d'autres ont surgi, rendant la formation de majorités parlementaires cohérentes et stables considérablement plus difficile.
En France, ce changement du paysage politique s’est produit en même temps que la montée du consensus pour l’extrême droite, qui s’est consolidée comme une force capable d’influencer fortement la politique du pays, même si elle n’a pas encore réussi à remporter la direction de l’exécutif ou la présidence de la République.
Le peuple français, confronté à la perspective d'un centre qui poursuit de plus en plus des politiques économiques néolibérales et d'une droite ultra-nationaliste, a voté, lors des dernières élections, pour la gauche, qui s'est recomposée en formant une alliance, le Nfp (Nouveau Front Populaire), qui lors des dernières élections, voulues par le seul Macron, un homme seul aux commandes, sans consulter personne, a obtenu une majorité relative. Dans ces conditions, la logique de la démocratie représentative et la pratique toujours respectée, jusqu'à présent, auraient naturellement conduit à la désignation d'un représentant de la coalition de la majorité relative, mais Macron a mis en œuvre une stratégie dilatoire visant, à terme, à l'éclatement du Nfp.
Heureusement, cette hypothèse ne s’est pas concrétisée, Macron a alors explicité son refus de donner le poste à un membre de la gauche, déclarant que « les marchés réagiraient mal » et entamant des consultations dont le but était de favoriser la constitution d’une autre majorité relative, même contre la réponse claire des sondages. Macron est à la recherche d’une nouvelle majorité à l’Assemblée nationale qui soit homogène par rapport aux politiques néolibérales, détestées par la grande majorité des Français, qui avaient été menées lors de la législature précédente par le gouvernement minoritaire dirigé par son parti. Après quelques semaines, et de longues « consultations », Michel Barnier est nommé, un homme de la droite gaulliste traditionnelle, qui ne déplaît pas du tout à Le Pen.
L’aspect le plus grave de la situation française est que le président Macron a clairement fait savoir qu’il n’était pas disposé à reconnaître la légitimité d’orientations politiques, clairement souhaitées par les citoyens par le biais d’un vote démocratiquement exprimé, différentes de celles qu’il avait promues lors de la législature précédente.
Il s'agit bien sûr de l'aboutissement tendanciellement paternaliste du présidentialisme à la française, qui n'est pas calqué sur la figure d'un leader sui generis comme Charles de Gaulle, et qui évolue donc dans une direction clairement anti-démocratique et explicitement autoritaire. Dans cet autoritarisme, on peut voir l'empreinte claire de l'une des pierres angulaires de l'idéologie néolibérale, qui consiste toujours à placer la politique économique, guidée uniquement par des principes favorisant le capital, en faveur des riches, à l'abri des interférences pouvant résulter de la formation de majorités parlementaires démocratiquement élues qui pourraient poursuivre des orientations redistributives en termes de revenus et de richesses.
Un principe du néolibéralisme qui favorise les inégalités économiques partout dans le monde. Après tout, c’est la manière habituelle de faire « casser les reins » à la gauche, également par la force, dans cette perspective insensée et antidémocratique, de l’objectif de subordonner le travail à l’entreprise, l’égalité à l’efficacité. Tant pis, si cela signifie restreindre la liberté de choix ou d’expression des opinions.
Ce qui se passe aujourd'hui en France, ce n'est donc pas seulement la formation d'une majorité parlementaire, c'est la façon dont on conçoit la démocratie. Or, si la volonté du peuple librement exprimée lors d'élections libres n'est pas respectée, peut-on encore parler de démocratie ?