Tout l’enfer politique se déchaîne au Royaume-Uni. Il n’y a plus de premier ministre – une version post-moderne du sketch du Perroquet Mort des Monty Python.
Une méchante bataille pour le pouvoir, menée par des Tories conservateurs style « même-pas-mal », trouve son pendant dans une insurrection au Parti Travailliste, ce qui, en soi, garantirait un nouveau sketch original des Monty Python. Le niveau général des débats est horrible. En parallèle, les icônes de l’establishment britannique veulent tout simplement ignorer le Brexit – illégal, illégitime – ou le remixer, de sorte que les masses crasseuses – les blancs de la classe ouvrière – seront forcés de voter dans le bon sens.
Une armée d’avocats a déclaré à la Chambre des Lords que, oui, la Grande-Bretagne devrait changer d’avis, mais avec des « conséquences politiques importantes ». Après tout, comme le remarque à juste titre l’establishment britannique, l’UE possède une vaste expérience en la matière. Le Danemark a voté contre Maastricht en 1992, l’Irlande a voté contre à la fois le traité de Nice en 2001 et le traité de Lisbonne en 2008. L’UE les a tous piétinés.
Pour sa part, l’UE semble présenter un front uni. Dehors c’est dehors. Et de préférence, vite. Bruxelles contraint pratiquement Londres à bouger, de sorte qu’une UE assiégée puisse se mettre au travail pour – en théorie – pouvoir avancer seule.
Les Eurocrates, en aparté, soulignent que même vite ne sera pas assez rapide – parce que Londres s’est auto-marginalisé depuis maintenant deux décennies. Dans le même temps, ils attendent que plus les conséquences désastreuses du Brexit seront évidentes, plus les Britanniques seront raisonnables.
Le récit officiel émane maintenant de la nouvelle troïka au pouvoir – la chancelière allemande Angela Merkel, le président français François Hollande et le Premier ministre italien Matteo Renzi. D’innombrables européens hésiteraient à acheter une Fiat d’occasion à ces personnes. Mais malgré tout, ils sont la nouvelle troïka, et leur message est clair. L’article 50 doit être invoqué le plus tôt possible, il n’y aura aucune négociation sans notification. Discuter de notre relation future, c’est très bien, mais seulement après avoir demandé formellement le divorce.
Bienvenue dans l’UE remixée
Dans cet environnement toxique intervient – oh surprise ! – le secrétaire d’État américain John Kerry. Le Brexit peut même être « retourné », affirme-t-il – par une marche arrière du Brexit Mort-Vivant. Apparemment, Kerry a été très impressionné par ce que David Cameron lui a dit, lundi dernier à Downing Street, à savoir qu’il n’invoquerait jamais l’article 50 car il était incapable de « commencer à négocier une chose à laquelle il ne croyait pas ».
Kerry est sûr qu’il y a « de nombreuses façons » d’agencer son scénario de la marche arrière du Brexit Mort-Vivant. Naturellement, il ne peut pas admettre publiquement ce qui terrifie le canard boiteux qu’est l’administration Obama. Cela n’a rien à voir avec le fait que le Royaume-Uni retourne « en queue de la file d’attente » – selon la terminologie de la Maison Blanche – pour renégocier un accord commercial avec les États-Unis.
Tout ceci concerne la disparition du Cheval de Troie américain à Bruxelles. Plus de Traité TTIP. L’Allemagne et la France prenant toutes les grandes décisions européennes sans que l’un des Five Eyes n’y mette son nez. Pas étonnant que les comparses bonimenteurs exceptionnalistes aient immédiatement commencé à raconter des salades, disant que la seule solution au Brexit est plus d’OTAN et son corollaire : plus de diabolisation de la Russie.
Toutes ces machinations occultent la seule réalité frappante : le seul but de l’OTAN aujourd’hui – en dehors de perdre des guerres au Moyen-Orient et de détruire les pays d’Afrique du Nord – est de perpétuer l’occupation militaire de l’Europe. Et pour cela, l’OTAN se repose sur une féroce hystérie anti-Russie.
Au moins, il y a du mouvement sur d’autres fronts. Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, étudie déjà une issue dans une négociation offrant une adhésion d’associé au Royaume-Uni. En fait, c’est le statu quo actuel. Le Royaume-Uni ne fait pas partie de l’euro ni de Schengen. La question centrale pour la Grande-Bretagne est l’accès au marché unique. Et en ce qui concerne Bruxelles, ce ne sera jamais : «vous ne pouvez obtenir votre thé, vos petits gâteaux et les manger aussi. » …sauf si vous acceptez la politique d’immigration de l’UE.
Fort à propos, s’aventurant en territoire inconnu, avec un timing parfait, surgit une feuille de route fuitée pour une UE remixée, conçue par le duo franco-allemand des ministres des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault et Frank-Walter Steinmeier.
De façon prévisible, la vision franco-allemande privilégie la sécurité, l’immigration et l’euro, en mettant l’accent sur la croissance économique. Ils veulent même plus d’Europe – une chose avec laquelle les Britanniques ne seraient jamais d’accord – une défense et une politique étrangère étroitement liées et une armée européenne unifiée. Imaginez les crises cardiaques en série dans les couloirs de Washington.Ils veulent une coordination européenne totale – des services de renseignement jusqu’à l’incarcération – pour lutter contre le terrorisme, ainsi que la surveillance intégrée des frontières de l’Europe forteresse.
Ils osent même s’aventurer dans un projet « de stabilisation, de développement et de reconstruction » de la Syrie – avant cela, quelqu’un doit dire à la CIA et au Pentagone d’arrêter de se tirer la bourre pour savoir quels rebelles modérés il faut armer.
Dans le domaine « suivez l’argent », le duo franco-allemand veut la même politique fiscale pour tout le monde, la convergence des budgets nationaux -bonne chance – et une Assemblée européenne pour contrôler la politique monétaire. Maintenant, bon courage pour vendre tout ça à une véritable « Europe des peuples ».
Et la Chine dans tout ça ?
Ensuite, il y a le panda géant dans le magasin de porcelaine européen : la Chine.
Pékin analyse toujours soigneusement le cirque politique actuel à Londres et à Bruxelles avant d’ajuster sa stratégie.
Il ne fait aucun doute que Londres, jusqu’à présent, était la porte d’entrée privilégiée chinoise dans l’UE – ainsi qu’une plaque tournante du commerce offshore pour le yuan. Pékin a également compté sur Londres pour faciliter l’obtention du statut d’économie de marché, ce qui se traduirait immédiatement par encore plus d’exportations chinoises vers l’Europe, tout cela étroitement lié aux nouvelles Routes de la soie. Last but not least, le Royaume-Uni – au grand dam de la « relation spéciale avec les US » – est un membre fondateur de la Banque asiatique pour les investissement dans l’infrastructure (AIIB), pilotée par la Chine.
Londres, pour sa part, était rayonnante avec la perspective de consolider sa position de porte de la Chine en Europe, tout en s’assurant des torrents d’investissement – dans un style chinois de « gagnant-gagnant ».
Jusqu’à présent, cependant, rien ne change. Prenez, par exemple, l’équipementier de télécommunications géant Huawei, qui continue de parier sur la Grande-Bretagne.
La relation entre la Chine et le Royaume-Uni a été saluée l’année dernière comme une « relation en or ». Mais comme les banques et les services financiers britanniques envisagent de passer à l’UE post-Brexit – HSBC, par exemple, a déjà annoncé que 1 000 emplois iront à Paris – le dessous de l’histoire, c’est que la Chine peut commencer à envisager aussi des scénarios « gagnant-gagnant » avec Paris, Francfort et Milan. Comme sauvegarde, il y aura toujours la marche arrière du Brexit Mort-Vivant. Et si le Brexit se révèle illégal ou illégitime, il retournera à ses instigateurs et tout sera à nouveau « en or ».