Rapport de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité : Egalitarisme et dérives libertaires

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Le rapport final de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité ayant été, enfin, oserions-nous dire, rendu public, et soumis, à en croire le commanditaire dudit rapport (la Présidence de la République) du moins, à l’appréciation des citoyens tunisiens, nous nous estimons autorisés à émettre quelques remarques y afférant.

Certes, certaines réactions de ladite commission, et de ses inconditionnels partisans, nous ont certes désagréablement surpris par leur vivacité, voire violence verbale, chose étonnante de la part de personnes soutenant mordicus le droit à la différence et à la liberté d’expression, mais nous ne saurions envisager autrement notre devoir d’intellectuel organique à l’égard de la cité.

C’est, sans doute, par immodéré enthousiasme et excès de volontarisme que le rapport, dans son prologue, promettait de réduire à néant toute forme d’inégalitarisme entre les citoyens tunisiens, quelle qu’en soit l’assise : religieuse, traditionnelle, morale… ou même politique.

Il n’en a rien été en fait. Et les causes de la déconvenue, elles, sont multiples. Certaines, subjectives, et, ce faisant, aisément réductibles, tiennent au profil inapproprié des membres de ladite commission. Songez qu’aucun d’entre eux n’est spécialisé en sciences religieuses. Et les deux membres pouvant se targuer de s’y retrouver, approximativement, en matière d’islamologie, ne sauraient revendiquer la qualité d’analyste objectif en la matière.

Monsieur Slaheddine Jourchi, vieux briscard de l’islam politique, a largement contribué aux beaux jours, entendez « militantisme » intégriste (à coup d’éther et d’explosifs intelligemment placés). Le Professeur Abdelmajid Charfi, pour sa part, ayant été taxé par son Maître même, feu le Professeur Mohamed Talbi, de « désislamisé » (munsalikhon ‘an al-Islâm), n’est surement pas la personne la plus indiquée pour porter un jugement objectif sur la teneur des textes islamiques en la matière.

Et le résultat ne se fit pas attendre ! L’honorable commission a tout simplement remplacé une argumentation d’autorité par une pléiade d’arguments d’autorité. Les référents ont, certes, changé, mais l’approche dogmatique est demeurée la même. L’unique évolution, pour peu que s’en soit une, fut d’avoir substitué au dictat religieux l’impératif constitutionnel, celui de la déclaration universelle des droits de l’homme, ou encore celui du droit comparé.

Les membres de la commission ont procédé à la manière des juristes islamiques (fuqahâ’) à coup d’analogie juridique (qiyâs fiqhî) qui, on le sait depuis Ibn Rushd (m. en 1198 ap. J. C.), ne comporte aucun substrat apodictique (démonstratif). En ceci leur démarche n’est en rien rationnellement supérieure à celle des juristes (fuqahâ’) et autres théologiens (mutakallimûn). Elle ne saurait, par conséquent, s’adjuger l’adhésion de l’élite intellectuelle du pays, et encore moins celle des libre-penseurs. Tout argument d’autorité étant, pour ces derniers, totalement irrecevable.

De plus, n’ayant pas rendu raison des concepts d’égalité ni de libertés individuelles, la porte ne reste-t-elle pas ouverte à tous les excès ? La chose est pourtant, pour nous autres arabophones, éminemment explicite. Toute définition rationnelle d’un concept étant nommé en arabe hadd (pluriel hudûd) c’est-à-dire délimitation (ou bien fixation des frontières –du concept s’entend-). De sorte qu’outre les libertés recensées par la commission, comme celle pour la musulmane d’épouser un non-musulman, ce qui n’est -soit dit en passant- pas absolument proscrit par la religion musulmane, on pourrait étendre selon les mêmes critères adoptés par la commission, à savoir le seul respect des droits universellement reconnus à l’homme, la totale liberté sexuelle.

Ce fut d’ailleurs chose partiellement faite grâce à la dépénalisation souhaitée par les rapporteurs de l’homosexualité. Ainsi, l’inceste, par exemple, serait, pour peu qu’il soit mutuellement consenti, parfaitement agrée par notre société.

Mieux encore, en s’en tenant au même point de vue, les balises entre droit à la liberté et attitude libertaire n’étant pas rationnellement fixées, l’on serait même tenté de remettre en question la notion d’Etat de droit où les pouvoirs publics s’arrogent le droit au recours à la coercition, voire même à la violence.

Toute atteinte à l’intégrité physique ou morale serait, nonobstant tout texte légal l’autorisant, justiciable. Ce serait alors laisser la porte ouvertes à toutes les formes d’anarchie et, conséquemment la notion « du vivre ensemble » serait une simple vue de l’esprit.

Procédant du même état d’esprit, certaines âmes charitables entrevoient même la possibilité de pénaliser la circoncision, d’autres nous acculeraient, sous prétexte de protection des animaux, au végétarisme…

C’est que troquer un dogmatisme religieux contre un formalisme juridique n’a jamais fait évoluer les choses. Ou alors convainquez vos concitoyens que tout ce qui se fait ailleurs est absolument parfait et qu’à contrario tout ce qui existe sous nos cieux est à pulvériser : religion, us et coutumes, valeurs morales, référents culturels… civilisation en un mot, serait à proscrire.

Si le fait de chambouler les sociétés était aussi simple que de parachuter de nouvelles normes sociales par l’entremise d’une commission de 10 personnes, nous serions au faîte de la modernité. Or, à en croire les expériences des Nations, ainsi que se plaisait à le dire Ibn Miskawayh pour désigner l’Histoire, tout ce qui se fait dans la hâte est tout aussi précipitamment défait.

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