L'abolition du régime monarchique en Tunisie n'étant pas un épiphénomène, il ne saurait être imputé à un quelconque desiderata personnel, ou autre avatar de l'histoire. L'événement entendu en sa portée historique, et quoiqu'en dise l'approche euphémiste bourguibienne (relayée en cela par la propagande bourguibiste), est pure affaire d'institutions.
L'une des plus grandes injustices que l'on commettrait à l'encontre de ce peuple serait de réduire son histoire à celle des grands hommes (à supposer qu'ils fussent tels). Il n'en sortirait au bout du compte une si petite histoire au point que l'on ne saurait y puiser ne serait-ce que quelque soupçon de moralité.
Autre particularité des événements propres à l’histoire : la singularité de l’unité de mesure se rapportant au facteur temps historique. Celle n’étant réductibles ni à l’unité mensuelle ni même annuelle, c’est en termes séculaires qu’il conviendrait, s’agissant des phénomènes proprement historiques, de subdiviser l’échelle temps.
Si bien que nous ne serions nullement infondés à situer la cause première ayant sonné le glas à l’encontre du régime husseïnite un siècle avant l’abolition édictée le 25 juillet 1957 par la Constituante, et plus précisément le 10 septembre 1857 (correspondant au 20 Muharram 1274 de l’Hégire) , date de la promulgation du Pacte fondamental (‘Ahd al-Amân) par le Mouchir Mohammed Pacha Bey (possesseur du royaume de Tunis, dixit).
De quelle manière ? La réponse à cette question nécessitera quelques liminaires.
S'agissant de la légitimité de l'Etat, nous sommes inévitablement en présence d'une dichotomie : soit la légitimité du sang, soit celle du sol. Or, faut-il rappeler que suite à l’abolition par la constituante tunisienne, le 25 juillet 1957, nous inaugurions une phase transitoire permettant le passage de la première légitimité vers la seconde.
Il est donc tout à fait normal que l'Etat assoie sa puissance en rapport avec la propriété du sol, nonobstant toute volonté de nuire à telle famille ou telle autre. Le problème n'est donc pas d'ordre moral, mais éminemment juridique.
La monarchie (Roi, Noblesse (nonobstant celle, tardive, de robe) et tiers-état) repose nécessairement sur le droit du sang. La république (Etat et citoyens), repose sur le droit du sol. En conséquence, et en toute logique, quel était le premier acte royal ? C'était d'affirmer –et, ce faisant, de faire valoir- le droit du sang (intronisation). Quel est le premier acte de l'Etat Républicain (c'est de délimiter son territoire (entr'autres: biens publics/biens privés). Or, l'Etat ayant été représenté par la famille royale, ses biens équivalent à ceux de l'Etat. A ce titre, ils sont déclarés biens publics.
Refuser ce processus d’appropriation par l’Etat de bien dont la propriété reposait sur un amalgame entre l’Etat et la personne du Roi (le fameux mot de Louis XIV : « L’Etat c’est moi ! », est loin d’être une simple boutade) reviendrait à refuser le processus du passage du régime monarchique au régime républicain.
Ce n'est donc pas une lubie ou bien un caprice de Bourguiba, de Wassila ou de je-ne-sais qui d'autre, comme il plaît à certains nostalgiques ou parties prenantes de l’ère monarchique de le clamer de plus en plus hystériquement, mais un principe juridico-politique qui tient au principe même des régimes politiques.
Ce faisant, et malgré certaines spécificités du régime monarchique tunisien (fondé entr'autres principes sur celui de l'intendance (al-iyâla) -traduction choisie sciemment-), celui-ci présente quelques similitudes avec les régimes monarchiques de manière générale.
La plus importante étant, sans doute, sa nature : Au départ ce fut un régime monarchique classique, connu sous le nom de monarchie de droit divin. Or, les intérêts essentiellement économiques l'acculeront à une évolution historique naturelle : la monarchie constitutionnelle. Nous en trouvons quelques embryons dans le Pacte Fondamental (‘Ahd al-Amân) de 1857.
Or, celui, « fortement suggéré » par les partenaires commerciaux outre-méditerranéens de la Tunisie avait pour principale vocation celle de garantir une marge de manœuvre suffisamment grande aux opérateurs économiques étrangers (notamment français et italiens) dans notre pays.
Tentative qui s’avéra bien vaine puisque les husseïnites eurent recours au protectorat français, c'est-à-dire à la puissance publique de la République française, pour assurer, compte tenu des nouvelles réalités économiques, la pérennité de l’Etat tunisien.
Or, sitôt la présence des français en Tunisie rendue trop coûteuse à l’Etat français, la fin du régime monarchique fut édictée. C’est que les institutions de la monarchie husseïnite, se référant à un schème d’exercice du pouvoir théologico-politique médiéval, s’accommodait mal d’une gestion politico-économique moderne du pays.
Pareille évolution ne pouvait s’opérer sans remettre en question le principe même sur lequel il reposait : le droit divin.
La constituante sonna le glas pour la monarchie husseïnite et la Tunisie réussit à se défaire d’un régime politique médiéval pour mieux s’ancrer dans la modernité… en théorie du moins.