Le 19 Août 1991, CNN proposait une couverture en direct de la tentative de coup d’État contre le président soviétique Mikhail Gorbachev. Alliés avec le KGB, les partisans de la ligne dure au sein du régime communiste en pleine désintégration avaient séquestré Gorbachev dans sa datcha en Crimée et déclaré l’État d’urgence. La presse mondiale était pleine d’experts et de politiciens inquiets que ce coup d’État puisse marquer la fin soudaine de la perestroika, ou même le début d’une guerre civile, des tanks roulant au milieu de Moscou.
Je suis intervenu comme invité sur le plateau de Larry King cet après-midi là, au côté de l’ancien ambassadeur américain aux Nations Unies Jeane Kirkpatrick, d’un professeur de Californie, et d’un ancien opérateur du KGB. J’étais le seul à affirmer que ce coup d’État n’avait aucune chance de succès, et que la crise serait terminée dans les quarante-huit heures, et non pas dans les mois que Kirkpatrick et beaucoup d’autres prédisaient. J’ai insisté sur le fait que les leaders du coup d’État n’avaient aucun soutien populaire, et que leur tentative pour mettre un terme aux réformes qu’ils craignaient voir détruire l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques était perdue d’avance. La bureaucratie au pouvoir était également divisée, nombreux pensaient qu’ils auraient de meilleures opportunités de carrière après un effondrement soviétique. Les événements me donnèrent raison lorsque le président russe Boris Yeltsin grimpa sur un char, que le peuple de Moscou se rallia à lui pour la liberté et la démocratie et que la cabale du coup d’État réalisa que le peuple était contre eux. Ils se rendirent deux jours plus tard.
Le coup d’État n’a pas seulement échoué, il a accéléré la disparition de l’Union soviétique en présentant au peuple de l’URSS un choix clair. La dissolution et un futur indépendant était un peu effrayant, mais ça ne pouvait pas être pire que le présent totalitaire.
Comme des dominos, les unes après les autres les républiques soviétiques déclarèrent leur indépendance dans les mois suivants. A Moscou, deux jours après l’échec du coup de force, une foule en délire abattait la statue de Felix « l’Homme de Fer » Dzerzhinsky, l’effroyable fondateur de la police secrète soviétique, en face du quartier général du KGB.
C’est difficile pour moi de lire les commentaires que les membres de la foule ont fait à la presse sans devenir émotif. « C’est le début de notre processus de purification », dira le chef d’un syndicat de mineurs de charbon. Un prêtre orthodoxe quant à lui dira « nous devons détruire la machine énorme, dangereuse et totalitaire du KGB ». La foule chanta « A bas le KGB ! » et « Svo-bo-da ! » le mot russe pour liberté. Les policiers retirèrent leurs bérets pour se joindre à la marche alors que des messages comme « les bouchers du KGB doivent être jugés ! » étaient griffonnés sur la base de la statue détestée. Un docteur affirma que cette manifestation était différente de celles des mois précédents : « nous nous sentions comme si nous étions nés à nouveau ».
On peut donc être choqué quand huit ans plus tard, le 31 décembre 1999, un ancien lieutenant-colonel du KGB devint président de la Russie. Les réformes démocratiques naissantes furent stoppées. Le gouvernement lança une offensive sur les médias et la société civile. La politique étrangère russe devint intimidante et belliqueuse. Il n’y eut aucun processus de purification, aucun procès pour les bouchers, et aucune destruction de la machine du KGB. La statue de Dzerzhinsky a été jetée à terre, mais pas la répression totalitaire qu’elle représentait. Elle est réapparue en la personne de Vladimir Poutine.
Début 2015, Poutine est toujours au Kremlin. Les forces russes ont attaqué l’Ukraine et ont annexé la Crimée, six ans après avoir envahi un autre voisin, la République de Géorgie. Quelques jours après avoir accueilli les Jeux Olympiques d’Hiver à Sochi en Février 2014, Poutine fomenta une guerre dans l’Est de l’Ukraine et devint ainsi la première personne à annexer un territoire souverain par la force depuis Saddam Hussein au Koweït. Les mêmes leaders mondiaux qui prenaient des photos en souriant avec Poutine il y a un an imposent maintenant des sanctions contre la Russie et les membres de son élite dirigeante.
La Russie a menacé de fermer le pipeline qui donne à l’Europe le tiers de son pétrole et de son gaz. Un Etat mafieux avec Poutine en capo di tutti capi (le boss de tous les boss) a évolué d’une kleptocratie idéologiquement agnostique pour utiliser des tactiques et une propagande clairement fasciste. Le spectre longtemps oublié d’une annihilation nucléaire est revenu.
Il y a deux histoires derrière la crise actuelle. La première, c’est la façon dont la Russie a si rapidement changé des célébrations de la fin du Communisme à l’élection d’un officier du KGB puis à l’invasion de ses voisins. La seconde est comment le monde libre a permis que cela arrive. Il est critique de déterminer ce qui a déraillé, car bien que Poutine soit maintenant une menace claire et présente, l’Europe et l’Amérique continuent de s’aveugler sur son compte. Les démocraties du monde doivent s’unir et réapprendre les leçons de leur victoire durant la Guerre Froide avant que nous glissions complètement dans une autre.
La Russie de Poutine est clairement la plus grande et la plus dangereuse menace à laquelle le monde est actuellement confronté, mais ce n’est pas la seule. Les groupes terroristes comme al-Qaeda et l’État islamique sont (malgré le nom de ce dernier) dépourvus de structure étatique et n’ont pas les vastes ressources et les armes de destruction massive que Poutine a sous la main. Les attentats du 9/11 et les autres du même type nous enseigne que l’on n’a pas besoin d’un drapeau national ou même d’une armée pour infliger de terribles dégâts au plus puissant État de la planète. Pire encore, les États sponsors du terrorisme bénéficient de l’échec des démocraties à organiser une défense agressive. Les régimes meurtriers d’Iran, de Corée du Nord et de Syrie ont pu gagner un temps considérable à la table des négociations avec les grandes puissances mondiales sans faire aucune concession significative.
Rien de nouveau à évoquer les défis du monde multipolaire qui a émergé de la fin de la Guerre Froide. Ce qui manque c’est une stratégie cohérente pour répondre à ces défis. Quand la Guerre Froide s’est terminée, les vainqueurs sont restés sans objectifs et sans ennemi commun contre lequel s’unir. Les ennemis du monde libre n’ont pas ce genre de doutes. Ils continuent de se définir eux-mêmes par leur opposition aux principes et aux lois des démocraties libérales et des droits de l’homme, dont ils considèrent les États-Unis comme le représentant symbolique et matériel. Et pourtant nous continuons à nous impliquer avec eux, à négocier avec eux, et même à fournir à ces ennemis des armes et des richesses pour nous attaquer. Pour paraphraser la définition de l’apaisement de Winston Churchill, nous nourrissons les crocodiles, en espérant qu’ils nous mangeront les derniers.
Tout refroidissement politique entre Washington et Moscou ou Beijing est rapidement présenté par chaque côté comme un potentiel « retour à la Guerre Froide ». L’utilisation de ce cliché aujourd’hui est ironique, étant donné que la façon dont la Guerre Froide a été menée et gagnée a été totalement oubliée au lieu de servir d’émulateur. Au lieu de tenir une position forte sur les principes du bien et du mal, du vrai et du faux, et sur les valeurs universelles des droits de l’homme et de la vie humaine, nous avons des engagements envers eux, nous fermons les yeux, et nous posons des équivalences morales. C’est l’apaisement sous une autre forme. Le monde a besoin d’une nouvelle alliance basée sur une Magna Carta globale, une déclaration des droits fondamentaux que tous ses membres doivent reconnaitre. Les nations qui donnent le plus de valeur à la liberté individuelle contrôlent maintenant la majeure partie des ressources mondiales et ont autant de puissance militaire. S’ils se réunissent et refusent de dorloter plus longtemps les États voyous et les sponsors de la terreur, leur intégrité et leur influence sera irrésistible.
Le but ne doit pas être d’élever de nouveaux murs pour isoler les millions de personnes vivant sous des régimes autoritaires, mais de leur donner l’espoir et la perspective d’un futur plus radieux. La plupart d’entre nous qui avons vécu derrière le Rideau de Fer sommes très conscients qu’il y avait des gens dans le monde libre qui se préoccupaient de nous, qui se battaient pour nous, pas contre nous. Et savoir cela comptait. Aujourd’hui, les prétendus leaders du monde libre parlent de promouvoir la démocratie tout en traitant les leaders des régimes les plus répressifs au monde comme des égaux. Les politiques d’engagement avec des dictateurs ont échoué à tous les niveaux, et il est temps de reconnaitre cet échec.
Comme Ronald Reagan le disait dans son fameux discours de 1964 « A Time for Choosing », ce n’est pas un choix entre la paix et la guerre, mais seulement entre la lutte et la reddition. Nous devons choisir. Nous ne devons pas nous rendre. Nous devons combattre avec les vastes ressources du monde libre, à commencer par les valeurs morales et les incitations économiques et avec les actions militaires en ultime recours. L’Amérique doit montrer la voie, avec ses vastes ressources et sa capacité à mobiliser ses alliés maussades et divisés. Mais il est obsolète aujourd’hui de parler de valeurs américaines, ou même de valeurs occidentales. Le Japon et la Corée du Sud doivent agir, l’Australie et le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud, et tous les autres pays qui chérissent la démocratie et la liberté et qui bénéficient de la stabilité mondiale. Nous savons que c’est possible parce que ça a déjà été fait. Nous devons trouver le courage de le refaire encore.
TL;DR : Garry Kasparov est un ancien champion international d’échecs. Il est à présent le symbole du mouvement démocratique russe. Dans Winter is Coming, il entend montrer que Poutine est une menace majeure pour la paix mondiale et les nations libres et pourquoi nous devons nous unir pour faire barrage aux ambitions des « États voyous ».