Voilà une (rare) bonne nouvelle. Le projet de loi prévoyant de déchoir des Algériens de la diaspora de leur nationalité pour, entre-autres, des actes « préjudiciables aux intérêts de l’État » a été retiré. Le spectre d’une instrumentalisation politique d’un tel texte contre celles et ceux qui s’opposent au pouvoir et qui le font savoir, notamment via les réseaux sociaux, s’éloigne et c’est tant mieux.
La nationalité est une affaire trop sérieuse pour donner naissance à de tels risques de manipulation. On attend maintenant l’abrogation de la disposition, toujours en vigueur, qui interdit à des ressortissants binationaux d’occuper certains hauts postes dans l’administration.
Tout cela s’inscrit dans un contexte particulièrement négatif. Avec l’emballement provoqué par le Hirak et les divergences politiques que ce mouvement peut engendrer, on a vu s’amplifier les habituels procès en authenticité à l’encontre des Algériennes et Algériens résidants à l’étranger. Hors des frontières, ils seraient moins Algériens que d’autres, moins légitimes à s’exprimer à propos de la situation du pays, moins aptes à faire des propositions et interdits de formuler la moindre critique. Pour peu que les idées divergent, l’anathème est immédiat et l’excommunication fréquente.
Vivre à l’étranger serait une condition suffisante pour ne pas avoir voix au chapitre. C’est l’argument favori des moucherons qui traquent les voix discordantes sur les réseaux sociaux. C’est aussi, plus finement avancé, celui des idiots utiles de l’islamophobie et du mépris anti-algérien qui sévissent dans les médias français et qui confortent sciemment l’intelligentsia hexagonale dans ses préventions et clichés à l’égard des peuples du Sud.
Il y a quelques années une polémique m’avait opposé au consul général d’Algérie à Paris. Pour avoir décrit, sans vraiment forcer le trait, les conditions d’accueil des citoyens dans un immeuble consulaire du dix-neuvième arrondissement, j’avais reçu une longue mise au point indignée et, bien entendu, excommunicatrice et pleine de sous-entendus. Aujourd’hui, je le reconnais, les choses ont beaucoup changé, et en mieux.
L’informatisation, une meilleure gestion des rendez-vous, la sensibilisation manifeste du personnel consulaire, ont modifié la donne. Certes, il y a encore des progrès à faire mais le sentiment d’être systématiquement maltraité par les représentants administratifs de son pays a largement disparu. Hélas, la pandémie du Covid-19 a grippé la machine.
Ces derniers jours, un communiqué de l’Ambassade d’Algérie en France informait les « membres de la communauté nationale en France, que les vols de rapatriement assurés par la compagnie nationale Air Algérie demeurent toujours suspendus ». Autre information, celle selon laquelle « il a été également décidé de surseoir, jusqu’à nouvel ordre, à la délivrance d’autorisations d’accès au territoire national via les compagnies aériennes étrangères. » Autrement dit, pas d’Algérie pour les Algériennes et les Algériens vivant à l’étranger.
Cette chronique a déjà abordé le sujet mais j’avoue ne pas comprendre ce blocus inversé. Certes, la situation sanitaire est toujours préoccupante et de nombreux pays mettent en place des mesures d’endiguement de la maladie. Mais, boucler tout un peuple ! Être en cohérence avec les discours répétés sur le nationalisme, le patriotisme, l’exceptionnalisme algérien (si, si), obligerait à ne pas fermer la porte à celles et ceux qui n’ont pas vu le pays et les leurs depuis plus d’un an. Des quarantaines, des tests à l’arrivée, tout cela est pratiqué par d’autres. Pourquoi pas l’Algérie ?
Il est difficile de ne pas y voir une certaine forme de mépris officiel à l’égard de citoyens de seconde catégorie. Un mépris partagé d’ailleurs par nombre de compatriotes qui sont persuadés du bien-fondé de la mesure et pour qui les « zmigris » sont responsables de biens des maux, y compris le début de la pandémie à Blida. En gros, qu’« ils » restent chez eux et tout ira bien.
On parle beaucoup des nationalités qui transcendent les frontières grâce à Internet. Grâce ou à cause de ses réseaux sociaux, il n’est plus possible d’être un Algérien à l’étranger comme c’était encore le cas il y a une vingtaine d’années. On peut vivre à Chicoutimi, Québec, tout en ayant un pied – virtuel – à Ténès. Mais les événements rappellent parfois que les séparations physiques existent toujours et que celles et ceux qui vivent à l’intérieur du pays auront toujours une prééminence sur les autres. Quels que soient les efforts et l’agitation que ces derniers déploient pour clamer leur attachement à l’Algérie.
La diffusion annoncée d’une émission de téléréalité réunissant des Algériennes à Dubaï a d’ailleurs été l’occasion d’une nouvelle flambée de procès en non-algérianité. La raison en est qu’il semble que les participantes enfermées entre quatre murs dans la cité bling-bling appartiennent, pour la plupart, à la communauté algérienne de France. « Vous n’êtes pas des DZ, pas des vraies Algériennes. Vous faites honte au pays » clamaient les messages vengeurs avant même la diffusion des premières images.
Finalement, pour se voir attribuer le label « vrai DZ », il faut être discret, accommodant ou alors exemplaire, selon la perception générale, à l’image des nombreux binationaux qui jouent pour l’équipe nationale de football et qui, compétitions obligent, ont le droit d’aller et de venir entre les deux pays.