N’en déplaise aux misanthropes, l’être humain est fondamentalement bon. Il peut être aussi naïf. C’est ce qui le pousse à croire aux miracles. A croire que les gens mauvais peuvent changer et s’amender. C’est ce qui le pousse aussi à pardonner très vite, sa mansuétude s’accompagnant souvent d’une générosité presque euphorique qui consiste à réintégrer dans la famille des « gentils », celles et ceux qui ont fait du mal à autrui et qui ont longtemps sévi par des actes contraires au respect de la personne humaine.
Les récents événements, avec l’application de l’article 102 de la Constitution démontrent, une fois encore, qu’il n’y a rien à attendre du pouvoir algérien. Quoi que dise la rue, quoi que clame le peuple, d’autres logiques sont en œuvre qui ne tiennent pas compte de la volonté populaire, de ses attentes et de ses exigences.
La démission, plus ou moins forcée, d’Abdelaziz Bouteflika ouvrait d’importantes perspectives en matière de changement profond. On l’a écrit ici comme tant d’autres commentateurs de l’actualité. Une vraie transition pouvait être lancée, avec un processus de concertation et de retour aux fondamentaux liés à l’indépendance : le droit et la liberté.
Cela n’a pas été le cas. Ce qui se déroule actuellement, c’est la volonté de garder le système inchangé. Les promesses d’ouverture politique, d’écoute vis-à-vis de l’opposition ou de mise en place d’une « commission » pour veiller à la bonne tenue des élections présidentielles relèvent du discours incantatoire et réchauffé.
Que de fois ne l’a-t-on entendu au cours des trente dernières années ? Le scénario qui se dessine sera sans surprise. Dans quelques jours, dans quelques semaines, les habituels invertébrés qui relayent la communication officielle vont commencer à se répandre en propos laudateurs à propos d’un homme qui incarnerait le changement. Cela voudra dire que l’état profond algérien aura choisi le successeur d’Abdelaziz Bouteflika. Et, urnes bourrées oblige, c’est lui qui sera élu.
La séquence qui s’engagera aura alors des airs de déjà-vu. Un homme élu, de manière plus ou moins massive, et qui devra composer avec les faiseurs de rois. Il négociera ses marges de manœuvres et, s’il sait y faire, il pourra même gagner en autonomie et en pouvoir. Chadli Bendjedid en son temps a pu le réaliser. Abdelaziz Bouteflika a, quant à lui, excellé à ce jeu. Pourquoi donc les choses changeraient-elles ? Tout cela pour dire que le pays n’a rien à attendre du processus qui s’engage.
Face à cela, trois voies sont possibles. La première est celle d’une radicalisation de la protestation. C’est la pire des solutions. On sait à quel point le pouvoir s’est toujours nourri d’une contestation violente à son égard. Les années 1990 l’ont bien montré et il n’est pas utile d’insister là-dessus.
Disons simplement que la manière dont ont été traités les étudiants mardi 9 avril [et les manifestants mercredi 10 et jeudi 11 avril] est assez révélatrice de certaines intentions. On voudrait pousser des jeunes à se radicaliser et à abandonner le slogan « silmiya » (pacifique) que l’on ne s’y prendrait pas autrement. On l’a dit pour les gilets jaunes français, on le redit ici : ce sont les forces de l’ordre, et pas les manifestants, qui fixent les limites entre une protestation pacifique et les violences.
La seconde voie est celle d’une résignation en attendant mieux. Certains compatriotes se disent, qu’après tout, ils ont évité une humiliation suprême à l’Algérie, celle d’un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Il faudrait ainsi, selon eux, poursuivre dans la voie des petits gains, des victoires successives qui seraient arrachées au fil du temps. A les entendre, il faudrait caresser l’espoir que le prochain locataire du Palais d’El Mouradia soit plus ouvert, plus enclin à favoriser l’essor démocratique, que ses prédécesseurs.
On retombe ici dans le piège de la naïveté. C’est oublier que chaque remise à zéro du compteur politique a été suivie d’une régression par rapport aux gains et aux acquis. Qu’a fait Abdelaziz Bouteflika si ce n’est enterrer les acquis d’octobre 1988 ? Pour dire les choses plus simplement : une dictature ne se réforme pas d’elle-même. Et le temps n’aide pas à améliorer les choses, au contraire, il les fait empirer.
Reste donc la troisième voie, celle du maintien de la contestation pacifique. La détermination des Algériennes et des Algériens qui, demain, en seront à leur huitième vendredi de protestation nationale, force le respect et l’admiration. Il est évident que le pouvoir table sur l’essoufflement du mouvement. Il fera tout pour le hâter et compte bien sur le ramadan pour l’aider.
Il faut ainsi s’attendre à ce qu’il restreigne au maximum la capacité des gens à manifester. Des barrages seront établis autour d’Alger pour empêcher l’afflux de manifestants et parions que les forces de l’ordre seront alors moins enclines à fraterniser avec les protestataires.
Il n’empêche. Quelque chose est née le 22 février dernier. Le peuple est dans la rue parce qu’il veut une vraie transition, un vrai changement. Il veut que ce président par intérim et le gouvernement dégagent parce qu’ils ne représentent rien, parce qu’ils sont le problème et non la solution, parce qu’ils sont les représentants d’un système honni qui a failli.
A l’inverse, les manifestantes et les manifestants qui réclameront demain une vraie transition sont l’honneur de l’Algérie. Et malheur à celui qui attentera à leur intégrité physique et morale.