Amoureux déçu de la belle meunière, le brave apprenti du poète allemand Wilhelm Müller était écœuré par la couleur verte qui habille si bien nos forêts dès le printemps revenu. Que n’avait-il attendu l’automne ! La moindre haie commence en effet à flamboyer, passant peu à peu de l’ambre au safran, du pourpre au bordeaux et du bistre à l’amarante. Je le constate une fois de plus en me rendant à pied de mon courtil de moins en moins perdu au fond de sa vallée jusque chez mon amie Marthe Dumas au mas du Goth.
En dépit du réchauffement climatique, la plupart des oiseaux migrateurs sont déjà partis vers leurs résidences d’hiver. Ne tournent plus guère dans le ciel traversé de nuages que les corbeaux qui y dessinent de longs traits noirs, les ramiers que ma présence dérange et quelques tourterelles bavardes comme des pies. Plus discret que celui du brigadier, le claquement de mon bâton sur le macadam résonne malgré tout dans l’air traversé des lourds parfums d’humus et de terre mouillée qui sourdent des sous-bois.
Mais comme l’écrivait Jean Giraudoux dans Suzanne et le Pacifique, mon Pays est une vieille terre à ruisseaux et à collines. J’en prends à chaque pas d’autant plus conscience que non seulement ma route serpente avec espièglerie entre champs et châtaigneraies mais aussi qu’elle monte et qu’elle descend sans considération aucune pour les rhumatismes du voyageur. Mais cette situation ne reflète-t-elle pas, en définitive, le simple mouvement de la vie ?
Comme les chemins de mon vieux Pays, elle hésite, repart, tourne à gauche, vire à droite sans que nul ne sache plus aujourd’hui vers quel clos elle conduit, vers quelle grange désormais enfouie sous les ronces et les orties, vers quel buisson de fayards, de frênes ou de robiniers. Comme les chevaux de bois des manèges d’autrefois, la vie ne fait guère que flâner ici ou là entre les hauts et les bas. Les hommes politiques endurent peu ou prou cette désagréable sensation d’être ballotté par les vents de la renommée. Celui-ci était hier familier des sommets. Il explore à présent les fossés les plus sombres. Tel autre qui caresse aujourd’hui les étoiles sondera demain l’ombre des bas-fonds. Qu’ai-je dis ? Qu’ai-je fais ? Qu’ai-je-dis que je n’ai pas fait ? Et pourquoi moi alors que les sondages me portaient aux nues ?
Je ne saurais assez conseiller à ces ambitieux de venir humblement se baguenauder sur nos routes cabossées contraintes d’épouser au plus près les moindres replis du terrain. Ils en toucheraient ainsi avec grand bénéfice la dure réalité.
Hélas, armés de la lanterne de leurs certitudes, ils avancent avec obstination vers ce qu’ils affirment être la sortie du tunnel. Et les soupçons de frémissement deviennent des prémices assurés. La reprise est là ! On ne la voit pas. On ne l’entend pas. On ne la sent pas. Mais elle est là ! D’ailleurs, voyez comme la courbe s’infléchit. Mais non, elle ne monte pas. Disons qu’elle monte moins vite. Demain, elle va s’incliner. Croyez-moi. Le déficit ? Mais il se résorbe ! Lentement, peut-être, mais voyez déjà comme il grossit moins vite !
Quoiqu’il en soit, le fossé se creuse et la charge qui l’accompagne continue, quant à elle, sa course solitaire hors des sentiers escarpés de l’orthodoxie monétaire et économique. Il faudrait que l’État dépense moins qu’il ne gagne pour qu’elle cesse au moins d’alourdir les budgets mais comme il fait exactement l’inverse, il est peu probable que le contraire se produise. Quoi qu’il en soit, les futurs étant imprévisibles, ils nous laisseront encore bien des choses à penser.