Discussion âpre et serrée avec mon ami Joseph. Je l’avais cueilli sur le bord de la route alors qu’il l’arpentait depuis plusieurs années au hasard de ses pas. Il s’était alors résolu à poser sa besace chez notre vieille amie Marthe Dumas, du Mas du Goth. Du haut de ses 85 ans, celle-ci apprécie grandement sa présence et sa gentillesse. En contrepartie du gîte et du couvert, il approvisionne régulièrement sa cheminée en frêne et en châtaignier, écoute religieusement ses conseils en matière de jardinage, veille sur ses poules et ses lapins et élève des pintades qu’il vend sur les marchés.
Par amour de la nature sauvage qu’il a sillonnée si longtemps, Joseph est devenu au fil du temps un fervent adepte de l’élevage "bio". « C’est bon pour la santé et bon pour la planète, » affirme-t-il avec des accents de conférencier. Notre planète, dis-je, s’en moque éperdument ! Elle est bien assez grande pour se débrouiller toute seule. Quant au fameux réchauffement climatique, elle a connu pire avatar en 4,5 milliards d’années. Elle s’en est même si bien sortie qu’elle a fini par devenir habitable pour la vie.
Certes, avec ses industries, l’homme est probablement en train de tout détraquer. Mais cela ne représente guère pour elle qu’un modeste gratouillis. Elle a la couenne assez ferme et le cœur assez coriace pour résister à ces petits désagréments. Par contre, il est vraisemblable que le dommage sera bien plus important pour cet homme qu’elle héberge. Lorsque toutes les pollutions qu’il parsème un peu partout sur le globe auront rendu la vie trop difficile, que deviendra-t-il ?
Certes, les plus riches et les plus forts pourront s’acheter le meilleur confort pendant un certain temps encore mais pourront-ils aussi acheter leur survie ? Et que vaudrait-elle d’ailleurs lorsque les famines, les inondations, les incendies, les épidémies et les guerres en tous genres auront décimé la plus grande partie de l’humanité ? Peut-on vivre heureux ainsi ? Que vaudra le bonheur pour la dernière famille, le dernier homme, le dernier enfant ? Peut-on vivre heureux seul ? C’est-à-dire sans avenir. Sans espoir. Avec seulement au cœur les regrets des temps passés lorsque, comme le chantait Jo Moustaki, la Terre était un jardin.
Cette nostalgie existe déjà bien sûr. Elle n’incite guère l’homme, hélas, à mettre tout en œuvre pour retrouver ces époques idylliques. Mais la Terre, quant à elle, ignore superbement toutes ces péripéties. Imperturbable, elle continue son parcours de planète au sein d’un système solaire lui-même imbriqué dans sa galaxie qui poursuit, impassible, son chemin tout tracé depuis le fameux big-bang. Et dans ce cadre, la persistance de la vie sur la Terre est bien moins tributaire de la sagesse humaine que de la proximité avec le soleil.
Dans moins de deux milliards d’années, toute vie aura disparu. Brûlée. Carbonisée. Évaporée dans le vide intersidéral. L’Homme se comporte comme si la Terre était éternelle. Comme si la vie était éternelle. Mais que signifie l’éternité elle-même à l’aune du cosmos et de ses lendemains inexorables ?
En réalité, l’espèce humaine devrait, dès maintenant, faire tout ce qui est en son pouvoir pour tenir le plus longtemps possible dans les moins mauvaises conditions. Hélas, même rassemblée en grandes pompes et fanfares tricolores, elle ne semble guère disposée à emprunter ce sentier difficile. Et même si elle y parvenait, peut-être est-il déjà trop tard. Mais les chemins du futur étant imprévisibles, peut-être y parviendra-t-elle malgré tout ! Ce qui nous laisse encore bien des choses à penser à propos de l’avenir.