La vie va et la vie vient. Jour de violence et jour de paix. Jour de doute, jour de peur et jour de joie.
La vie va et la vie vient. La vie continue.
C’est ainsi que je suis affecté, ce matin, à la garde de ma jeune voisine Anaïs. Maman va chez le docteur, ma chérie, lui dit sa mère pour la consoler. Je reviens juste après. Qu’elle se rassure. Anaïs n’est nullement chagrinée.
Dès le manteau accroché à la patère et les chaussons chaussés, elle se précipite dans mon bureau pour vérifier que je n’en ai pas modifié le désordre coutumier. Contrôle dans la cuisine que la boite de ses gâteaux préférés est bien approvisionnée. Et entreprend avec une belle énergie de vider la corbeille d’osier où sont rangés ses jouets habituels.
Lorsqu’ils sont tous soigneusement éparpillés aux quatre coins, elle change d’avis et décide de caresser César qui somnole dans mon fauteuil. C’est doux ! Le mâtin ouvre un œil, s’étire longuement en ronronnant et lèche d’un rapide coup de langue la main de son admiratrice. C’est raboteux ! S’exclame-t-elle, fière de se souvenir encore du mot appris lors de notre dernière rencontre.
Vexé, César pressent alors que sa sieste matutinale va être définitivement gâchée et décide d’abandonner la place. C’est le regard mélancolique que la perturbatrice le voit s’éloigner de son pas impérial vers sa chaise attitrée avancée devant la cheminée. C’est quelle histoire, aujourd’hui ? S’inquiète-t-elle aussitôt en s’installant, à son tour, dans mon fauteuil. Et de me lancer dans l’explication illustrée du mot "doux" qu’elle vient d’utiliser pour qualifier la toison du matou.
Ainsi, le savon du bain rend la peau douce et la pommade contre les bobos aussi, et le champoing également, et la mousse blanche sur les joues de Papa avant la séance de rasage. Mais toi, Papet, ta barbe, ce n’est pas doux. On dit alors que c’est rêche. C’est un vilain mot, décrète-t-elle en le répétant avec gourmandise en roulant le "r" comme un vieux paysan du plateau de Millevaches.
En réalité, selon les travaux éminemment scientifiques d’un groupe de chercheurs londoniens, la douceur d’une peau dépendrait plus des liens affectifs liant le caressé et le caressant que de toutes les lotions miraculeuses du monde.
La peau d’un bébé est d’autant plus douce que vous en êtes le parent. La peau d’une femme est d’autant plus douce que vous l’aimez. Et plus vous l’aimez, plus sa peau vous paraît douce et plus vous prenez plaisir à la caresser. Et plus vous la caressez, plus elle y trouve elle-même plaisir et plus votre main lui paraît douce.
En fait, mettant à profit les millions d’années mis à sa disposition avant l’arrivée en fanfare du fameux homme de Toumaï, la nature a, dans un premier temps, inventé les ocytocine, dopamine et autres lulibérine pour inciter l’homme et la femme à batifoler. Puis, dans le but de renforcer leurs liens familiaux, elle a ajouté cette belle illusion de la douceur exceptionnelle de la peau, préservant ainsi la vie de l’enfant jusqu’à qu’il atteigne lui-même l’âge d’imiter ses parents. Et l’affaire est si bien organisée que si vous estimez, à tort ou à raison, que votre peau est râpeuse, il ne faut pas désespérer puisque, a contrario, ce n’est, là aussi, qu’une illusion.
Et les chemins du futur étant imprévisibles, tout espoir de voir cette triste situation s’inverser ne vous est donc pas totalement interdit. Ce qui laisse encore bien des choses à penser à propos de l’avenir.