La « stratégie de sécurité nationale » que chaque administration américaine produit – comme l’exige une loi promulguée dans les années 1980 – n’est pas vraiment une stratégie. Les gens du département d’État, du Pentagone ou du Conseil de sécurité nationale qui essaient de formuler des solutions à des problèmes de sécurité nationale épineux ne sortiront pas le document de l’étagère pour trouver une stratégie pour faire face à ces problèmes. Au lieu de cela, le document est un énoncé de thèmes, d’objectifs et de positions thématiques avec lesquels l’administration du jour veut s’identifier aux yeux des publics nationaux et étrangers.
La stratégie de sécurité nationale que l’administration Biden a publiée cette semaine – après un retard et une révision de plusieurs mois rendus nécessaires par la guerre de la Russie en Ukraine – correspond à ce moule. Certaines parties du document expriment en termes très généraux une façon d’envisager les relations internationales à l’époque actuelle. Les parties sont des listes de questions spécifiques et des positions sur des questions spécifiques dans chaque région et dans des domaines fonctionnels sélectionnés. Et certaines parties ressemblent à des discours de campagne vantant les réalisations de l’administration.
La perspective générale sur la sécurité nationale – la vision des relations internationales à 30 000 pieds – qu’offre le document de l’administration Biden a des qualités admirables, et deux en particulier. L’une consiste à poser, comme deux domaines d’activité égaux et nécessairement simultanés, la concurrence avec d’autres grandes puissances et la coopération avec ces mêmes puissances pour résoudre des problèmes d’intérêt mondial. Le changement climatique est en tête de liste de ces préoccupations communes, ainsi que des questions telles que les maladies infectieuses et les perturbations économiques ayant un impact mondial.
Bien que certains puissent sentir une tension entre les aspects concurrentiels et coopératifs, le document présente correctement ces aspects comme n’étant pas intrinsèquement contradictoires. Les relations avec les autres grandes puissances ne sont pas à somme nulle. L’administration exprime à juste titre sa volonté de « coopérer avec tout pays, y compris nos rivaux géopolitiques, qui sont prêts à travailler de manière constructive avec nous pour relever les défis communs ».
La Chine est la grande puissance par rapport à laquelle les aspects concurrentiels (pensez à la force militaire de la Chine et à sa diplomatie de plus en plus affirmée) et les aspects coopératifs (pensez à la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de contrôler une maladie infectieuse telle que la COVID-19) occupent la plus grande importance. La Chine figure en effet en bonne place dans le document de l’administration.
Le document se rapproche toutefois d’un territoire à somme nulle lorsqu’il parle plus d’une fois de la Chine ayant « l’intention de remodeler l’ordre international ». Une question qui va au-delà de toute réponse fournie par ce document est de savoir si les intentions à long terme de la Chine peuvent être décrites comme remodelant l’ordre international ou plutôt comme cherchant à jouer un rôle plus important dans un ordre qui serait toujours fondamentalement le même que celui qui existe aujourd’hui.
Une autre caractéristique admirable de la perspective large trouvée dans le document de l’administration est l’effacement de la ligne entre les affaires intérieures et étrangères en matière de sécurité nationale. L’effacement est nécessaire même lorsque l’on se concentre sur des sujets traditionnels de puissance dure impliquant la sécurité physique. Le document attire à juste titre l’attention sur le problème de l’extrémisme violent intérieur, qui pose aujourd’hui un plus grand danger pour la sécurité des Américains que le terrorisme d’origine étrangère. Au-delà de cela, les fractures internes et surtout la menace pour la démocratie américaine affaiblissent de multiples façons la capacité des États-Unis à promouvoir leurs intérêts à l’étranger.
Lorsque George Kennan a fait ses recommandations - qui constituaient une véritable stratégie - pour contenir l’Union soviétique au début de la guerre froide, il a attiré l’attention sur ce lien entre la façon dont les États-Unis gèrent leurs problèmes intérieurs et le succès qu’ils peuvent avoir à l’étranger. Toute « exposition d’indécision, de désunion et de désintégration interne au sein de ce pays », écrivait Kennan, stimulerait l’adversaire communiste. Le même principe s’applique à la capacité des États-Unis aujourd’hui à affronter la Russie ou la Chine – ou, comme l’incarne le document de l’administration Biden, les deux.
Le lien avec la division nationale souligne l’un des aspects dans lesquels ce document d’administration rédigé pour la consommation publique n’est pas, malgré son titre, une véritable stratégie. Le document respire le boosterisme et l’optimisme, y compris un argument selon lequel les autocraties ont certains inconvénients par rapport aux démocraties dans l’élaboration de leur volonté. C’est ce qu’ils font, mais ils ont aussi des avantages compensatoires. Et une stratégie réaliste exigerait de tenir compte plus complètement et d’une façon pessimiste de la façon dont la partisanerie malveillante à l’intérieur du pays handicape la formulation et l’application efficaces de la politique étrangère.
Le document de l’administration diffère à d’autres égards d’une véritable stratégie – y compris le fait qu’un document exposant la stratégie ne serait jamais un document public en premier lieu, à lire par des adversaires ainsi que par tout le monde. La stratégie exige d’établir des priorités, car les objectifs sont en conflit et les compromis impliqués dans la poursuite des objectifs. Le présent document ne fait pas grand-chose de tout cela. Dans la section sur la force militaire, par exemple, les coûts d’opportunité des dépenses militaires lourdes ne sont pas abordés.
Le document ne fournit pas non plus de stratégie qui guiderait la prise de décision présidentielle sur les coûts, les risques et les valeurs concurrents dans les décisions de crise les plus difficiles qu’un président devrait prendre – comme la question de 64 000 $ sur ce que les États-Unis feraient ou devraient faire en cas de mouvement militaire chinois contre Taïwan. Le document fait référence au maintien de « notre capacité à résister à tout recours à la force ou à la coercition contre Taïwan », mais ne traite pas de l’utilisation de cette capacité.