Après ce qui s’est passé au cours des deux dernières années, il est difficile de ne pas se sentir diminué d’une manière ou d’une autre, de ne pas ressentir – qu’on le veuille ou non – une sorte de honte. Ce n’est pas la honte que Marx appelait « une sorte de colère autodirigée », dans laquelle il voyait une possibilité de révolution. Il s’agit plutôt de cette « honte d’être des hommes » dont parlait Primo Levi sur les champs de bataille, la honte de ceux qui ont vu ce qui n’aurait pas dû arriver.
C’est une honte de ce genre - cela a été dit à juste titre - qu’après avoir pris nos distances, nous nous sentions devant une trop grande vulgarité, devant certaines émissions de télévision, devant les visages de leurs chefs d’orchestre et le sourire confiant des experts, des journalistes et des hommes politiques qui ont sciemment sanctionné et répandu des mensonges, des mensonges et des abus - et continuent de le faire en toute impunité.
Quiconque a ressenti cette honte sait qu’il n’est pas devenu meilleur pour cela. Il sait plutôt, comme Saba avait l’habitude de le répéter, qu’il « est beaucoup moins qu’avant » – plus seul, même s’il cherchait des amis et des associés, plus muet, même s’il essayait de témoigner, plus impuissant, même si quelqu’un écoutait sa parole.
Il y a une chose qu’il n’a pas cependant perdu, en fait il l’a en quelque sorte gagnée de manière inattendue: une certaine proximité avec quelque chose pour laquelle il ne peut trouver d’autre nom que la « vérité », la capacité de distinguer le son de ce mot, que, si vous l’écoutez, vous ne pouvez que croire vrai.
Pour cela et de cela, il peut témoigner. Il est possible – mais ce n’est pas certain – que le temps, comme le dit le proverbe, finisse par révéler la vérité et lui donner – qui sait quand –raison.
Mais ce n’est pas ce que son témoignage a pris en compte. Ce qui l’oblige à ne pas cesser de témoigner, c’est précisément cette honte particulière d’être, malgré tout, un homme –semblable, malgré tout, à tous les hommes qui sont aussi ceux qui, par leurs paroles et leurs actes ont été forcés d’avoir honte.