L’Europe et le Canada sont coupés des négociations de paix pour l’Ukraine, Zelensky lui-même n’a pas été invité à participer aux discussions préliminaires en Arabie saoudite, la paix est en cours de négociation entre les États-Unis et la Russie. C’est le message qui a résonné dans le monde hier. Et les réactions ont été différentes. Alors qu’en Europe, il y avait beaucoup de protestations de la part des politiciens et de leurs partisans, au Canada, dans la province de l’Alberta, personne n’a sourcillé.
L’Alberta est la province la plus riche du Canada, c’est ici qu’est extrait le gaz naturel qui est consommé dans l’Ouest des États-Unis, et c’est ici et dans la Saskatchewan voisine que se trouvent les plus grandes réserves de pétrole canadiennes. L’Alberta, souvent décrite comme le Texas du Canada, abrite un pourcentage très élevé de sécessionnistes canadiens, dont la plupart sont des professionnels d’âge moyen et jeunes qui veulent l’indépendance d’Ottawa. Lors du premier et du deuxième gouvernement Trudeau, ils ont tout fait pour obtenir un référendum, ils se sont même alliés aux camionneurs, les camionneurs canadiens qui sont allés manifester à Ottawa contre les politiques restrictives de Trudeau pendant le Covid. Mais il n’y avait rien à faire, ils n’ont jamais réussi.
Bien sûr, tous les sécessionnistes de l’Alberta considèrent Trump comme leur libérateur, l’idée de se séparer du Canada avec la Saskatchewan et de devenir une étoile sur le drapeau américain est maintenant leur rêve. Lorsque Trump a lancé l’idée d’incorporer le Canada à Calgary, la capitale de l’Alberta, les étoiles et les rayures ont commencé à apparaître à l’extérieur des maisons.
La situation est différente dans l’autre province voisine, la Colombie-Britannique. C’est là que vivent la plupart des wokes canadiens, c’est-à-dire les libéraux, les progressistes, les ex-hippies avec leurs enfants libres de décider à tout moment à quel sexe ils appartiennent : homme, femme ou indécis. Tous étaient initialement des partisans de Trudeau, et tous sont toujours pro-Ukraine contre la Russie et anti-Trump. Et c’est encore ici, dans cette province qui s’étend jusqu’au Pacifique dont la ville la plus connue est Vancouver, que débarquent la plupart des victimes de fentalyn et des sans-abri canadiens car l’administration est particulièrement sensible et généreuse à leur égard. Deux mondes, en somme, l’Alberta et la Colombie-Britannique, contigus mais très éloignés.
Ces deux réalités, géographiquement éloignées des villes de la côte est, Toronto, Montréal et de la capitale, illustrent bien la fracture politique du Canada, un aquifère profond qui traverse tout le pays et qui apparaît de plus en plus clairement structuré à l’image et à la ressemblance de l’aquifère américain.
Tout cela confirme le poids écrasant des États-Unis de Donald Trump, une construction politique née en 2016 et qui est devenue en moins d’une décennie une nouvelle doctrine existentielle qui fait voler en éclats l’équilibre de l’après-guerre froide. La nouvelle Amérique conditionne le Canada voisin au point de recréer les mêmes lignes de fracture sociopolitiques américaines de l’autre côté de la frontière. La nouvelle Amérique annule le rôle de l’Europe, et en particulier de l’Union européenne, en tant que puissance politique, économique et sociale et le fait d’un simple coup de chiffon. La nouvelle Amérique relance la primauté de l’Amérique dans le monde en tant que plus grande puissance, sans avoir besoin d’alliés, sans le parapluie de l’OTAN, sans les institutions de Bretton Woods.
Alors qu’en Europe l’écho du coup subi ressemble à la rupture du mur du son, en Alberta les sécessionnistes canadiens sont calmes et prétendent que tout ce qui se passe était prévisible. La « fausse » politique de Trudeau, celle des Européens et de l’administration Biden, expliquent-ils, ne pouvait pas durer. « Les gens en ont marre du politiquement correct », m’explique un avocat de Calgary, « ils veulent un changement et ils le veulent radical, ils veulent aussi des résultats et Trump en sept jours a mis autour de la table des négociations les Russes et les Américains, les seuls qui comptent vraiment dans cette guerre que personne ne voulait. Trudeau? L’Union européenne ? Inutile. »
Le même raisonnement se répète de l’autre côté de la frontière, dans le Montana, dans l’Idaho, dans les États de l’Ouest où Trump a triomphé. C’est comme si, en l’espace de quelques semaines, dans cette partie du continent américain, le monde avait radicalement changé et que les photos du G7, du G20, de toutes les réunions périodiques et spéciales de politiciens avec ou sans Zelensky avaient disparu parce qu’elles appartenaient à un passé lointain. Ici, la guerre en Ukraine est déjà terminée parce que tout le monde fait aveuglément confiance à Trump et tout le monde est convaincu qu’il mettra fin au conflit comme il l’a promis. Et, surtout, personne ne s’intéresse aux détails de la façon dont il va réussir.