Ne croyez pas tout ce qu'on vous raconte, Zaba n'est pas parti, il n'a jamais quitté le pays. Il a juste troqué le faste improductif des bains de foule contre la sécurité et l'efficience de l'incognito. Zaba ne peut pas partir car les baobabs sont indéracinables. Zaba ne peut pas partir car il s'est mélangé à l'atmosphère de ces contrées. Comment le pourrait-il alors qu'il a des bâtards dans des milliers de foyers ?
Comment disparaîtrait-il alors qu'il a remplacé l'hémoglobine dans le sang des millions ? Zaba ne peut pas fuir le danger car les idées n'ont pas d'états d'âme. Et ben Ali ne serait pas ben Ali s'il n'était rien qu'un homme. Vous aviez peur de la carcasse, l'esprit va vous donner des cauchemars. Ben Ali est encore là. Irrémédiablement tapi dans l'esprit égoïste et nombriliste de tous les avortons tarés qui ont hérité, à force de manigances et de léchage de semelles, d'un pouvoir quelconque qu'ils emploient pour piétiner l'éthique, snober le populaire et spolier la veuve et l'orphelin.
Depuis le directeur libidineux et bedonnant soupesant ses couilles dans son fauteuil, jusqu'au gringalet affamé et teigneux à la porte de chaque administration, une légion de trafiquants ayant profité du système mafieux dont ils tiraient pouvoir et subsistance. Ce sont eux qui ont érigé la corruption en modus vivendi de l'administration. Clientélisme, népotisme, corporatisme, magouilles et pots de vin constituaient la religion à laquelle ils ont converti tous les pauvres diables de la société.
Leur dieu est certes loin, mais ses recommandations ont toujours cours. Et on peut les accuser de tout, sauf de blasphème ou d'abandon de la foi. La foi fait vivre. Ben Ali est encore là. Incrusté sous des couches de crasse si près de la peau qu'il en fait désormais partie ou presque. La crasse accumulée par des décennies d'appauvrissement et d'acculturation. Le maître est toujours présent dans l'esprit de l'esclave, dans les réflexes encore érectiles de sa mémoire formatée. Il a été dressé à faire honneur à sa servitude. On l' a persuadé que la pitance est plus consistante que la dignité si bien qu'il ne s'aperçoit pas qu'il n'a eu ni l'une ni l'autre.
On l'a convaincu qu'il doit plus craindre la fin de la servilité apprivoisée que l'inconnu de la liberté.
Une liberté qui ne lui assurerait peut-être pas sa pâtée. Il en a déduit qu'il est plus important de s'inquiéter du passé d’excréments de ses rejetons que de leur avenir. Après l'homo erectus, l'Homo faber et l'Homo sapiens, c'est l'ère de l'Homo perussi lobotomisé. Vous le reconnaîtrez sans peine. C'est la matrone gavée de feuilletons turco-egypto-tuniso-mexicains qui s'est toujours battue pour remplir sa gamelle et qui trouve que crever la faim en servitude en la bouclant vaut mieux que de continuer à le faire en sachant qui en est responsable et en le criant.
C'est le taxiste qui se croit sage à force d'embobiner des clients pressés qui n'en ont que faire de son baragouin mais qui n'ont pas l'impolitesse salvatrice de lui rabattre le caquet. C'est le petit minable qui croit avoir compris le monde à travers son facebook peuplé de cons et de trolls et qui s'en va crier sa haine de toutes les révolutions empêcheuses de s'abrutir tranquillement. C'est cette élite bovine autoproclamée plus habituée aux courbettes qu'aux démonstrations, plus assidue des râteliers que des assiettes, ayant vendu le dernier pan de sa conscience étriquée, le dernier sursaut imperceptible d'honneur morbide, ayant défait le dernier point de sa virginité rafistolée, est allée en campagne contre la pagaille post- révolutionnaire qui a levé le voile sur ses subterfuges et son inanité.
C'est cette meute de vampires qui infestent nos écrans et continuent la sale besogne qui les a poussés sur ce piédestal. Zaba n'est pas parti car il est profondément ancré dans une société de faux clinquant, de fausse vertu, de fausse culture, de faux patriotisme, de valeurs mises au clou, de principes bafoués, de justice domestiquée, d'égoïsme nauséabond, d'insolence triomphante, de vicieux canonisés, d'usurpateurs éhontés, de voleurs auto- légitimés, de pseudo-citoyens démissionnaires…
Zaba ne disparaîtra pas car il est vain de combattre un symbole lorsque toute la société est la statue vivante de ce symbole.