Comment je devins con… (16ème épisode)

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L’affaire que j’eus avec un autre de la même bande du quartier, surnommé Oueld Ftayta, fut non moins hilarante. Oueld Ftayta était issu d’une famille où tous les mâles étaient alcooliques, père et fils. Ce n’était que par la gent féminine que la famille entretenait quelques rapports avec l’humanité.

Il avait une sœur studieuse et très bien élevée, respectée par tout le quartier et dont il était extrêmement fier. Elle était alors en quatrième année Sciences et moi en sixième Lettres. On se connaissait de vue sans jamais se parler mais son frère était un ami.

Il sonna à notre porte un dimanche matin, de bonne heure. Je n’étais pas encore sorti retrouver les jeunes de ma bande et je fus étonné de le trouver en allant ouvrir. C’était bien la première fois qu’il sonnât à notre porte depuis qu’on se connaissait. Or, pour qu’il vînt me trouver chez moi sans attendre que je sois dehors était significatif d’une affaire de la plus haute importance.

-Bonjour Mourad !

-Salut Abdelbasset, t’es trop saoul pour reconnaitre ta maison ou quoi ? Fis-je moqueusement.

-Non, j’ai besoin de toi pour un truc important que toi seul peux faire.

-Je veux bien, de quoi s’agit-il ?

-C’est pour ma sœur Raoudha, tu la connais, elle va au même lycée que toi. Elle passe un devoir demain et elle a besoin d’aide. Comme elle n’est qu’en quatrième et que tu es en sixième, tu peux facilement lui expliquer ce qu’elle n’arrive pas à comprendre.

J’étais l’un des rares jeunes de la cité à avoir atteint ce haut degré de scolarité. Le plus lettré du quartier. Un savant hors pair pour qui rien n’est incompréhensible. Mais l’idée d’aller chez lui et de me retrouver en présence de son père et de son frère aîné qui devaient avoir déjà commencé leur séance de beuverie quotidienne ne m’enchantait pas vraiment.

-Tu penses vraiment qu’elle a besoin de mon aide ? Elle n’est pas si mauvaise d’après ce que je sais.

-Oui, c’est vrai qu’elle est bonne élève, mais c’est un devoir de maths tu sais, alors elle a vraiment besoin que tu viennes l’aider. Elle ne m’a rien demandé, mais je ne peux pas la laisser dans le pétrin. Je lui ai promis de lui trouver un ami capable de lui expliquer les maths en un claquement de doigt. Et elle compte sur moi.

-Hé attends un peu ! Tu m’as bien dit qu’elle a un devoir de maths ? Mais alors je ne peux absolument pas t’aider, je suis désolé mon vieux.

-Allez Mourad, fais pas le con, c’est un service que je te demande, personne d’autre ne pourrait l’aider mieux que toi…

-Mais mon ami je ne pourrai pas, même si je le voulais. Je suis bien en sixième mais je suis littéraire, je n’y connais rien aux mathématiques.

-Putain, je ne m’attendais pas à ça de toi, toi un ami en qui j’ai confiance. T’es qu’un salaud, un faux-frère, un pédant sans cœur…Ne me parle plus jamais !

-Mais attends Abdelbasset, tu as mal compris, ce n’est pas que je ne veux pas, je t’assure que je ne comprends rien aux maths, je ne te raconte pas de bobards. Reviens que je t’explique.

Il était parti. En dépit de tout, j’avais le désagréable sentiment d’avoir laissé tomber un ami qui comptait sur mon aide. Un cruel sentiment de culpabilité me taraudait malgré le caractère cocasse de la situation. Quelle pression a-t-il dû faire subir à sa fierté pour venir me retrouver et me demander d’aider sa sœur ?

A moins qu’il ne l’ait fait par vantardise, dans le but de montrer à sa famille qu’il avait parmi ses connaissances des gens de lettres, cultivés et capables de donner des leçons de mathématiques ? Je comprenais sa colère et son désappointement. Mais lui, comprendrait-il jamais la vérité ?

Oueld Ftayta ne me parla plus pendant plusieurs jours. Il feignait ostensiblement de ne pas me voir au café ou lorsque je saluais leur groupe en passant près d’eux. Ses acolytes finirent par remarquer son manège et l’interrogèrent sur les raisons de son différend avec moi.

Il leur avoua toute l’affaire. Et tout cons qu’ils étaient, ils le persuadèrent de son erreur. Cela leur prit tout de même quelques jours pour trouver une comparaison qu’il comprît.

-Écoute lui dit enfin Oueld Katra, le plus futé du groupe, nous sommes bien des voleurs, hein ? Mais on n’est pas les seuls voleurs du quartier, d’accord ? Tu me suis ?

-Ouais, je te suis.

-Bien. Et nous, on chipe quoi ? Juste les poules des voisins qu’on va manger à la forêt. Mais quelqu’un comme Oueld Chrayef, est-ce qu’il vole des poules comme nous ? Non, sa spécialité c’est les cambriolages, il vole de l’argent, des fringues, des bibelots…Tu vois, on est tous des voleurs mais chacun a sa spécialité. Les lycéens sont comme les voleurs ; ils vont tous au même lycée mais certains étudient les maths et d’autres étudient la géographie et le français. Tu comprends maintenant ? Mourad ne t’a pas menti, il ne peut pas t’aider, tu aurais dû le savoir puisqu’il a toujours été quelqu’un de réglo. Va donc t’excuser comme un con que tu as été.

L’affaire fut ainsi résolue grâce à la médiation hautement philosophique de Chaker Oueld Katra. Ce garçon aurait certainement fait une brillante carrière de diplomate aux Nations Unies si notre quartier n’avait pas autant besoin de lui pour réduire la démographie galopante des poulets chez les voisins. En plus d’autres exploits à caractère tout aussi humanitaire.

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