Destins croisés (4ème épisode)

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Massinissa

Mais enfin quel con j'étais d'affirmer au commissaire principal avec autant de certitude et d’orgueil le démantèlement de la cellule du secteur B3...!! J'aurais mieux fait de me couper la langue ce jour-là ou de prendre une cuite monumentale au point d'en clamser. Ah ! il me le paiera ce vaurien de Mouche.

Lorsqu'on m'amena le suspect, il était encore sous l'effet de l'anesthésiant qu'on lui avait administré. Mes hommes retirèrent le sac qui lui couvrait le visage et jetèrent le corps inanimé sur le parquet. Sa tête heurta le pied de mon bureau sans qu'il manifeste le moindre signe de conscience. À force de seaux d'eau chaude, froide, boueuse on finit par le réveiller.

Il avait l'air abasourdi. Il n'avait pas encore peur, il était juste étonné, ne sachant pas où il se retrouvait. Nous portions tous des cagoules pour ne pas être reconnus pendant les interrogatoires. Note ultra-secrète du directeur de la sûreté de l'état, par crainte des représailles. En dehors des interrogatoires, nous retrouvions figure humaine. L'interrogatoire ne fut pas long.

- Alors ducon, tu sais où tu te trouves ?

- Non, pas vraiment.

- hahahaha... Tu es en enfer pédé. Tu t'es trop amusé avec ton petit cul si bien que Dieu en a eu marre de toi et te voilà en enfer. N'est-ce pas que ton dieu jette au feu les têtes de nœud comme toi ?

Il eut alors l'air d'avoir saisi. Il nous avait tout d'abord pris pour des terroristes, à cause des cagoules. Mais les terroristes ne s'expriment pas comme je le faisais. Je vis alors dans ses yeux l'habituelle lueur d'épouvante qui me fait bander. Les autres aiment dénuder les corps, les plier dans des positions grotesques et humiliantes, leur faire faire tout ce qui leur passe par la tête, les briser physiquement, les broyer, s'en servir pour assouvir tous leurs fantasmes immondes ; moi, il me suffit de les posséder, de les habiter, de squatter leur volonté, de peupler leurs cauchemars, d'en faire ma chose, ma créature, mon bien.

L'éclair de terreur dans un regard brisé est plus jouissif que le baiser le plus enflammé de la pute la plus torride. Ce regard de bête traquée est la frontière vivante entre l'humanité et la bestialité. Et cette métamorphose est mon œuvre... !! Plus qu'un magicien, ce regard fait de toi l'égal des dieux.

Il y a des sensations plus puissantes, plus excitantes que le plaisir physique. Certains jouissent dans leur chair, moi je jouis dans ma tête. Rien qu'en voyant cette lueur significative de la déshumanisation de l'informe tas de chair et de nerfs gisant à mes pieds. Ce qui était un être humain, un individu, un citoyen convaincu d'avoir des droits, une culture, une âme, est subitement brisé, transformé, réduit à l'état de loque amorphe plus stupide qu'une statue de cire.

- D'où viens-tu, connard ?

- De la mosquée.

- Qu'est-ce que tu es allé foutre à la mosquée ?

- La prière.

- Avec qui fricotes-tu là-bas ?

- Je ne comprends pas.

- Ah, tu fais le malin. Je te passerai l'envie de te foutre de ma gueule quand je te laisserai seul avec mes hommes qui n'ont pas eu le temps de passer une nuit avec leurs épouses depuis bientôt un mois à cause des abrutis de ton genre.

Il me sembla qu'il avalait péniblement sa salive. Cette menace était toujours efficace. Mes yeux étaient rivés aux siens. Une longue habitude des interrogatoires m'a appris à déceler infailliblement l'effort de dissimulation que trahit un regard subitement plus vivant. Mais dans les yeux du type recroquevillé à mes pieds, il n'y avait qu'une peur épouvante mêlée à l'incompréhension. Serait-il plus vicieux que moi ?

Mon expérience, tout comme mon amour propre, me disaient que le gars n'avait rien à voir avec la cellule terroriste que je traquais. Mais je ne pouvais pas courir le risque. Pas après avoir annoncé triomphalement au commissaire le démantèlement de cette cellule et l'arrestation de l'un de ses membres les plus importants. Non, il ne sera pas dit que ce gamin a réussi à me berner. Il a juste besoin d'être mieux conditionné.

Je fis alors un signe à deux officiers. Ils ricanèrent avec un rictus mauvais qui leur donnait un air de bouledogue. Ils s'avancèrent vers lui, le relevèrent et juste au moment où il fut debout, l'un deux lui balaya la jambe d'appui d'un coup circulaire qui le remit à terre. Ce n'est pas la violence du coup qui effraie, mais la surprise, le changement d'attitude. Il est difficile d'imaginer que la main qui te relève est précisément celle qui va te faire mal.

Dès lors, le suspect perd ses repères d'analyse psychologique et logique. La surprise le plonge immédiatement dans la dimension angoissante de l'arbitraire. Ayant acquis la certitude que mes hommes sont capables de tout, le cerveau n'arrive plus à apprivoiser sa peur ni à se préparer à une souffrance particulière car il ne sait pas à quel type de torture il sera confronté, ni à quel moment.

Quand il fut par terre, l'un lui mit le pied sur la gorge de sorte qu'il ne pût plus bouger de peur de se rompre le cou, tandis que l'autre le rouait de coups de pied, partout, méthodiquement, avec un soin plus vicieux pour les parties sensibles. Ils s'arrêtèrent au bout de cinq minutes. Un stratagème. Le suspect imagine alors que c'est la fin provisoire du calvaire. Non, c'est juste le moment de la relève, mes hommes ne faisaient que changer de rôle.

Il était rare qu'un individu ordinaire n'ayant pas reçu une formation aussi bien psychologique que physique pour ce genre de situations ne flanche pas au bout d'une séance de vingt minutes. Mais avec ces créatures étranges, il n'est guère aisé de savoir s'ils sont innocents ou si au contraire c'est leur foi fanatique qui les rend insensibles à la douleur.

À chaque coup, il ne faisait que répéter qu'il n'avait rien fait de mal et demander ce qu'on lui reprochait. Quand je jugeai qu'il était prêt au véritable interrogatoire, je fis signe à mes hommes de s'arrêter, ce qu'ils firent en maugréant. On ne le releva point cette fois-ci, il resta aplati au sol dans une position grotesque.

- Qui t'a donné l'ordre de créer cette cellule ?

- Quelle cellule ? répondit-il d'une voix mourante.

- Vous êtes combien de personnes ?

- Quelle cellule ? répéta-t- il mécaniquement.

- Qui est avec toi ?

- Quelle cellule ? Souffla-t-il d'une voix à l'intonation légèrement exaspérée.

- Qui vous finance ?

- Quelle cellule ? répéta-t-il encore.

Je fis signe à mon adjoint qui s'apprêtait à le frapper et il s'arrêta, interdit.

- Quelle est votre mission ?

- Quelle cellule ?

On dit que je suis sadique, cruel et insensible. C'est peut-être vrai, mais je sais aussi rester calme lorsque les circonstances l'exigent. Je commençais à me douter de l'horrible vérité. Il restait une ultime question.

- Sais-tu ce qui va arriver à ta famille et à tous ceux que tu aimes si tu ne réponds pas à mes questions ?

- Quelle cellule ? s'obstina-t- il à répéter dans un souffle rauque.

Je fus alors certain que le gamin réduit à l'état de pantin désarticulé ne dissimulait pas. Les dissimulateurs fuyaient les réponses mais ils écoutaient les questions. Lui n'écoutait plus, ou plutôt ne réfléchissait plus, il cherchait juste à comprendre. Ce qui lui faisait répéter la question qui était pour lui la clé de toute l'affaire. Tous ces efforts pour rien... !!

Désolé mon petit gars, ce n'est pas de ta faute mais c'est ainsi. Si je l'avais bouclée au lieu de faire le fanfaron, tu en aurais été quitte pour cette ratonnade salutaire, mais tu as joué de malchance, je ne peux plus faire machine arrière et m'exposer aux railleries de mon supérieur. Mais pour te rendre justice, je te promets de botter le derrière à cet enfoiré de Mouche qui t'a mis dans cette situation. D'ailleurs j'aimerais bien savoir pourquoi, tiens !

Je fis signe à mes hommes de l'emmener sans trop le malmener et j'envoyai chercher Mouche.

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