Je reviens à l’écriture, après une absence due à la situation de déprime générale qui prévaut en Tunisie. L’on pourra écrire tous les discours fleuves pour excuser un autre Néron de la scène politique, le constat est implacable et apocalyptique. Encore un 25 juillet qui va enfoncer le clou du désarroi vis-à-vis de l’avenir de la Nation !
Sans ambages, on peut écrire que le hold-up constitutionnel actuel fait suite à ceux commandités par les deux compères de la Dictature, Bourguiba l’initiateur et Ben Ali, son suiveur. Depuis l’avènement de la République, il y a comme une détermination à bâillonner la vox populi car les institutions loufoques du pays continuent à marquer leur territoire en exhalant l’odeur rance d’une démocratie bafouée.
Si l’urne, cette fois-ci, livre une image d’équité citoyenne, il n’en est rien si l’on analyse les résultats d’un référendum de complaisance. En définitive, là où le bât blesse, ce sont ces politiciens de la vingt-cinquième heure, nés et formatés pour seulement idolâtrer le 25 Juillet, qui donnent l’impression durable que les élections sont des pièges à ”cons”.
De 1957 à 1987, parce que celles-ci n’existaient pas, un despote avait étranglé le droit républicain, se faisant adouber Empereur pour l’éternité.
De 1987 à 2011, elles étaient falsifiées, faisant de Ben Ali et de sa belle-famille, le clan mafieux qui avait désargenté les caisses du trésor.
De 2014 à 2019, elles avaient trompé la vigilance d’un électorat novice, permettant à Béji Caïd Essebsi d’appliquer une politique de réconciliation envers tous ceux qu’ils décriaient avant les élections.
Enfin, de 2019 jusqu’à aujourd’hui, elles ont été utilisées pour donner à Kaïs Saied la suprématie politique pour écraser ses adversaires …
Pourtant, Mendès France qui fut le souffleur de la scène républicaine Tunisienne, affirmait ” qu’une démocratie est toujours menacée par ses adversaires certes, mais surtout par l’inertie et la négligence des citoyens. ”
À vrai dire, des compatriotes apathiques dont la principale occupation est d’éplucher le carnet mondain d’un Dictateur pour se goinfrer de souvenirs savamment choisis pour nous l’exposer à son avantage. D’évidence, ceux-là n’ont nullement les moyens intellectuels de sortir des œillères que le chemin de la démagogie avait tracé. Petits morceaux de bois qui maintiennent incandescente la flamme de la Dictature, ils ont permis à un autre Président de la raviver puisqu’ils continuent à entretenir l’éloge du briseur du rêve démocratique.
L’histoire ne fait donc que bégayer sous le voyeurisme impuissant de ceux qui ne l’ont jamais critiquée. Au final, pourquoi ne pas permettre à Kaïs Saied de déroger aux règles déontologiques que Bourguiba avait enfreintes au centuple ? Au moins, l’un a consulté un quart de son patrimoine populaire tandis que l’autre s’était fait élire par le parti qu’il dirigeait d’une main de fer. Pour tout vous dire, la déification d’un chef d’état restera pour moi, le talon d’Achille de toute pensée politique. Et comme si les plaies n’étaient pas assez profondes, dictateurs et soumis réussiront à greffer à la Nation, les thématiques de la carence économique, de la violence verbale et de l’incivilité en tout genre …
Voilà pourquoi, en remontant l’histoire du mouvement républicain, l’on se surprend en se pinçant, à feuilleter les pages inédites de l’un des plus frauduleux cambriolages intellectuels des soixante-cinq dernières années. Car rares sont les mouvements qui ont autant prospéré sur des mensonges et une vacuité.
Personnellement, je reste incrédule devant une institution qui s’est symboliquement enrichie sur l’indigence intellectuelle d’un peuple, tout le temps outré et dominé. Et qui aura bâti une fabrique d’affronts sur les décombres de la Monarchie que le parti destourien avait enterrée. Grâce à son chef de file qui aura marabouté de nombreux cerveaux, même parmi les plus fins puis charmé les médias fascinés par la provocation, le langage ordurier, le buzz triomphant et la vocifération dans les débats-spectacles, la République n’aura jamais tenu son rang. Pire, elle n’aura rien su cloner de bon chez l’institution-mère, même pas la farce de la graduer en chiffres romains.
Promise à n’être qu’émergente, aujourd’hui, elle immerge à plus de soixante-cinq lieues sous mer. Où sont donc passées colère, hargne, indignation et insoumission ostensibles, exprimées sur les réseaux sociaux lorsqu’il s’agit de critiquer la période Beylicale ? Face à un pays groggy et digérant mal le goût de cendre laissé par la gouvernance de Bourguiba et Consort, la pauvre Tunisie se meurt politiquement, économiquement, socialement …
Aussi, le faux sentiment d’esthétisme du pays n’a d’égal que l’effroi dans lequel sa trajectoire fut propulsée. L’habileté de certains à élaborer des rêves impossibles en se basant sur les exploits surfaits d’un bonimenteur devrait les inciter à comprendre le pourquoi des territoires exclus de la République, de plus en plus grandissants. Cette tragédie du miroir dont fut victime un Président narcissique aura contaminé ses fans sur plusieurs générations, la reprise d’un flambeau éteint n’étant qu’une inqualifiable conséquence.
Ceux qui persévèrent à croire que la conscience de la République est sauve car elle a réalisé une œuvre aboutie, sont ceux-là mêmes qui la vilipendent sur la toile. Mais pour eux, il est encore doux de dormir sous l’ombre protectrice du Père de la Nation, lequel par télépathie, continue son œuvre hypnotique …