L’examen de conscience …

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Comment vous l’écrire aujourd’hui sans détour, après maintes réflexions et lectures ciblées ? Depuis l’indépendance de la Tunisie jusqu’à la Révolution de jasmin, c’était le temps du bourrage de crâne et de la propagande de supermarché, insufflés par une nouvelle fournée d’hommes politiques. Avec pour corollaire, un embrigadement qui réussira à formater de nombreux compatriotes, qui se sont mis à caresser dans le sens du poil, pourtant dur à brosser.

Au début, il y eût mutisme par la force de la baïonnette, puis après, ce fût la soumission volontaire en raison de l’Union Sacrée autour du sauveur de la Nation. Pas étonnant alors que la moindre conjuration de mécontents contre les dépassements de la Dictature se volatilisât comme par magie : il était devenu préférable de se taire, se complaire plutôt que de s’attirer les foudres du Père et pour mieux plaire, faire l’abécédaire du légendaire …

Le plus perplexe pour moi, victime collatérale de la tyrannie, c’est qu’en Tunisie, l’art du retournement de veste fût aussi transmis à la descendance d’hommes politiques de renom. Pour eux, même si leurs aînés avaient eu à subir le despotisme, il était normal qu’en République, l’on soit au diapason de l’opinion majoritaire, pour auréoler un leader au summum de sa gloire et se coucher face à l’idéal démocratique. Tant pis pour l’utopie oubliée de la séparation des pouvoirs si chère à Montesquieu, loin de devenir cette philosophie de justice, de quiétude et de raison …

Devant la monstruosité des recoins sombres de l’ère Bourguibienne, il m’est arrivé à maintes reprises, me promenant dans les méandres de mon esprit, de chercher à comprendre ce qui aurait pu justifier un tel acquiescement. Que leurs pères soient emprisonnés, jugés, humiliés pour de faux motifs politiciens, excuser et défendre de la sorte le bourreau, traduit un embourbement de leur conscience dans la vase de la trahison, du surréalisme et de la schizophrénie. Au diable la Résilience, si elle doit se conjuguer sans heurts avec la désobéissance aux principes séculaires de soutien à la famille …

Je réfute cet instinct de survie qui pousse à n’avoir point de théories justes et à devoir swinguer dans le sens de la même partition même si elle sonne faux, à ne pas tenter de s’auto-analyser et à contempler ses émotions comme l’on contemple un paysage figé. N’est-ce pas cela l’absence de fierté, de dignité et la duplicité avec son moi, qui voudraient que la défense du droit s’inverse au profit du tortionnaire, plutôt qu’à sa pauvre victime ? …

À ce propos, pour étayer mon écrit du jour, je citerai deux exemples bien choisis qui me triturent au plus haut niveau de mon intellect et en premier lieu, celui de l’artiste Raja Farhat, esclave bienheureux de la République, conteur et écrivain. Même si son père fût assassiné après avoir été torturé sur ordre de Bourguiba, lui, ne cesse d’être inféodé à la Dictature, laudateur de son ”Suprême ”, cherchant le buzz et le succès en surfant sur un fonds de commerce florissant, pour assurer le succès de ses navets théâtraux dans lesquels il fustige la Dynastie Beylicale.

J'ai de la haine profonde pour tous ceux qui veulent ”manger”, alors que d'autres avaient été dévorés tout crus par l’injustice. Comme partout, les opportunistes, les médiocres, les félons et les girouettes sont légion en Tunisie en se rangeant du côté du profit de leur cause. Si cet artiste avait fait le choix cornélien de se taire, au nom de la Mémoire de toutes les Victimes tombées sous la Dictature en ne faisant plus de chantage au passé, ce serait un bien pour l'Histoire.

Faut-il lui rappeler que celle-ci n'est pas une pièce de théâtre, ni un élan de sadomasochisme, encore moins une vérité pour un écrivain indigne de respecter la mémoire de son propre père ?

L’autre exemple est plus sournois, mais il a la même signification, selon moi. Dans le livre de Khalifa Chater, aux Éditions Nirvana ” Tahar Ben Ammar (1889-1985) ”, le fils défunt de ce grand homme politique, Khaled Ben Ammar écrit en document annexe, page 323 :

” C’est ainsi que je m’explique ce tragique différend conjoncturel, qui a beaucoup affecté ma famille. Des bribes de témoignages de mon père ont pu m’éclairer ... Changement de contexte, en 1966, mon père a retrouvé son statut d’antan. Il fût désormais invité à assister à toutes les cérémonies officielles. Et d’ailleurs, Bourguiba devait lui reconnaître sa participation active au mouvement national, en le décorant le 25 Juillet 1969, des insignes du Grand Cordon de l’ordre de l’indépendance. Mon père accepta avec dignité la reconnaissance de son statut national, que l’opinion tunisienne lui a toujours reconnu, en dépit des aléas de la crise de conjoncture qu’il a courageusement surmontée. ” …

Il faut donc oublier tous les griefs retenus par la Haute Cour de Justice, les menottes passées aux mains du signataire de l’indépendance, la condamnation pour fraude fiscale et ses trente millions de francs d’amende, la sentence à quatre mois de prison avec sursis aux époux Ben Ammar pour possession illégale de bijoux avec en prime dix millions de francs d’amende chacun. Oublier aussi le fait que, dégoûté par cette parodie de justice, l’ex-premier ministre de Lamine Bey se retirera définitivement de la vie politique, alors que l’essentiel pour son fils, était le pardon et la reconnaissance du Combattant Suprême, à n’importe quel prix …

Et d’enfoncer le clou, l’auteur écrira dans ce même livre, page 311 - que les rapports avec le Bey (c’est comme cela est écrit ; on écrira par contre, le Président Bourguiba) étaient tièdes et durant la période passée au gouvernement, le premier ministre n’était point un habitué de la Cour -. Tous ces détails significatifs pour se démarquer d’une Monarchie archaïque afin de plaire à la Tunisie moderne et républicaine de Bourguiba …

Il y a d’autres exemples de progéniture de leaders célèbres qui partagent des anciennes coupures de presse magnifiant le recueillement de Si Lahbib à la Mémoire de leurs ascendants disparus, oubliant que ceux-ci avaient été au début de leur trajectoire politique, les proches collaborateurs de Lamine Bey qui leur vouait le respect de la fonction. En son souvenir, l’on ne pipera mot pour évoquer le courage et la souffrance de sa déchéance et l’on ne prendra pas le parti de sa défense contre l’injustice et le mépris. C’est que l’ingratitude rend amnésique les plus oublieux ...

Voilà une description inesthétique de cette tranche de vie politique, grâce à laquelle des insultes et des humiliations pouvaient muter en bienfaits et inversement. Toutes ces attitudes méprisables qui naissent puis disparaissent en un tour de mains, traduisent l’ambivalence profonde des rapports dans le monde politique de notre pays.

On crée facilement un héros pour disculper ses défaillances et on fabrique sciemment un zéro pour magnifier la puissance du héros. Cette relation inégale, toujours basée sur le mensonge et le parti-pris avait nui à la première et à la seconde République.

Depuis, aucune fée ne s’était penchée pour réaliser un solde de tout compte à la faveur de ces ambiguïtés d’appréciation de l’Histoire qu’aucun acteur du pouvoir républicain ne voudra ébranler. La dynastie Husséïnite, malgré deux siècles et demi de gouvernance et de très belles réalisations, restera une clandestine dans nos mémoires.

Quand le chêne est tombé, chacun se fait bûcheron (Ménandre) …

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