L’actualité de l’heure m’a tellement interpelé que je m’autorise à la commenter en lieu et place de mon autobiographie. Je reste stupéfait par les images des télévisions du monde entier qui nous donnent depuis Londres, une leçon de civisme, de patriotisme, de sagesse et d’empathie …
Queen Elizabeth II s’est éteinte et c’est tout le Royaume-Uni qui pleure sa Reine. Les drapeaux sont en berne et il pleut sur la Monarchie comme il pleut dans les cœurs des sujets de Sa Majesté. On se précipite pour se rendre à Buckingham Palace lui rendre un dernier hommage et partager la peine de ses enfants et petits-enfants. C’est que les Britanniques, malgré leur flegme habituel, ne jugent pas sur les apparats mais renforcent une tradition séculaire …
Soixante années plus tôt, la Reine de Tunisie et Première Dame du pays, S.A. Jneïna Beya, alors en résidence surveillée, était soustraite à la compagnie du Roi, conduite au ministère de l’Intérieur, menottes au poignet, pour être interrogée pour une banale histoire de bijoux.
Des sous-hommes de la jeune Institution Républicaine vont lui asséner des coups violents de manière ininterrompue durant trois jours. Elle en sortira avec des hématomes au visage, une paralysie faciale, une hémiplégie et une hémorragie au bas-ventre. Interdite de soins, elle fut ramenée en état de mort apparente auprès de Lamine Bey, hagard et dépité. Dépouillée de tous ses biens, la voilà en plus violentée dans sa dignité et son intimité.
Ce sont là deux destins croisés et deux rendez-vous inégaux avec l’histoire pendant lesquels l’une était restée une souveraine adulée et l’autre devenue une proie odieusement déshumanisée. Voilà le résultat de deux systèmes politiques différents …
Aussi, je puis imaginer les états d’âme de ces deux Reines dans leur tombe, à travers le ressentiment de leur dernier voyage. La Tunisienne doit être en position de prière, le cœur profondément meurtri, malmenée par le défenseur présumé de ces dames. La Britannique est à l’évidence couchée calmement sur le dos, paupières demi-closes, explorant sa richesse intérieure, décuplée par l’amour et le respect de tout un peuple.
Comment la noirceur d’âme de certains assoiffés de pouvoir peut-elle encourager la délectation morose de la violence ? Comment percevoir que le frisson apeuré d’une martyre exalte encore les insultes au droit de réponse ? Il ne devrait pas y avoir plus traître que le mirage d’une politique teintée de cruauté mais enrobée de mensonges pour mieux dompter les esprits dociles des Tunisiens …
Sans aucun doute, Bourguiba avait envoyé des fléchettes de curare en plein cœur de l’Histoire Nationale pour que ses opposants nagent continuellement parmi les requins avec une blessure à la jambe et pour que ses béni-oui-oui puissent y mordre à pleines dents.
Au Royaume-Uni, les héritiers du trône, l’origine Dynastique, les collections de bijoux, les frasques de la Famille Royale ou autres dérapages, n’ont jamais entraîné un effet nocebo sur les mentalités. À l’opposé, dans le camp du sous-développement intellectuel, l’on dissèque la vie des uns en ne taclant jamais celle des autres et l’on idolâtre les mystificateurs en vilipendant les patriotes. Avec l’endoctrinement régulier, le jeu de rôle des gendarmes et des voleurs s’est inversé.
Devenu sport national, il a réussi à faire imposer les mêmes élus de cœur et les mêmes souffre-douleurs. En filigrane, il faut comprendre que ce sont deux projets de société incomparables qui opposent une Monarchie Matriarcale à une République despotique, plus misogyne que l’on croit …
Dès lors, je me pose la question troublante de savoir pourquoi Winston Churchill ou ses successeurs n’avaient-ils jamais tenté de faire échec et mat à leur Reine, l’armée et le parlement étant en leur pleine possession ? Pourquoi, le Prince Philip avait-il convenu de marcher derrière le cortège de sa conjointe lors des sorties officielles ? Enfin, pourquoi le Prince Charles avait-il accepté de devenir Roi à l’âge de soixante-treize ans, sans jamais forcer la Reine-Mère à abdiquer en sa faveur ?
C’est tout simplement parce que leur âme est grande, saine, différente de celle du Tunisien, lequel arrivé au pouvoir par des portes dérobées, choisit d’y rester seul pour éprouver la sensation d’un faux privilège. Ce maximum que peut offrir cette fonction de prestige, il ne peut jubiler que s’il l’obtient en écrasant le bonheur des autres sous ses semelles. Tout en lui n’est qu’artifice, calcul, filouterie, trahison et violence pour se donner la hauteur de considération qu’il sait ne pas devoir mériter …
C’est aussi parce que dans une vie politique équilibrée, c’est la sagesse d’esprit et le respect de l’institution des aînés qui prévalent. Jamais, ces gens-là ne feront monter les eaux du déluge en entraînant la foudre et la tempête, pour s’en aller s’asseoir paisiblement sur la crête et se sentir à l’abri.
Pour eux, la Politique est raison garder et respect du serment prêté plutôt que vengeance et diversion. Ils ne peuvent nullement se prosterner, baiser des mains, jurer fidélité puis poignarder dans le dos par ambition personnelle. À mon sens, Sa Majesté la Reine d’Angleterre et ses ministres restent, en politique intérieure, des gouvernants de haute stature qui ne détournent aucunement le sens de l’Histoire pour se l’accaparer. Au contraire, ils l’écrivent en osmose avec les règles du pouvoir et les aspirations de leur peuple …
Je sais que toute œuvre étatique est imparfaite mais, même dans les contemplations inesthétiques, c’est le rôle des citoyens qui inspire la vie politique.
Les Tunisiens n’ont fait qu’applaudir les plus forts, les plus enclins à déroger à la déontologie et les plus aptes à diviser. Ils ne possèdent aucun critère de valeur pour juger leurs gouvernants. Ils n’ont fait que se distraire, lancer des youyous aux vainqueurs, huer les vaincus et monter sur leurs grands chevaux jusqu’à l’arrivée de la diligence de l’abîme …
En somme, j’envie ces pays dont on peut écrire plusieurs biographies plutôt qu’une seule hagiographie, celle d’un Combattant Suprême, le seul héros à être glorifié en trois millénaires d’histoire.
J’envie ces pays dont on respecte toutes les Dames et en premier lieu, les plus prestigieuses dont les Reines, même si l’on avait fait tourner le vent de l’histoire.
J’envie ces pays où les inflexions millimétriques dans les phrases de désaccord n’entraînent jamais un aboiement pavlovien pour défendre une Dictature.
La Tunisie est aujourd’hui un abîme socio-économique, résultat d’un abîme politique et glissant vers un abîme structurel. Pour plusieurs raisons sans doute, l’une d’entre elle étant d’avoir permis l’outrage à une Reine innocente. Un affront non reconnu et jamais excusé par la République jusqu’à ce jour, suivisme d’état oblige …