À l’ébahissement que je manifeste chaque fois qu’une nouvelle candidature s’ajoute à la liste des prétendants au poste de Président de la République Tunisienne, je me dis que la campagne électorale restera l’art préféré d’abrutir un peuple sous anesthésie profonde. Plus de deux cent partis et une centaine de candidats présidentiables pour douze millions d’habitants, sans qu’il ne soit tenu compte, ni de sensibilités de droite, de gauche ou de centre, références sociétales habituelles de toute vraie République, c’est que le monde des castrats a bien rejoint celui des eunuques.
Le peuple, tiraillé entre laïcisme et islamisme, résultat de l’écartèlement entre Bourguiba-philie et Bourguiba-phobie, s’en donne à cœur joie de choisir un candidat du système, issu d’un coup de force parlementaire orchestré par la République, version première …
Dès sa création, celle-ci devait abolir le meurtre politique en proclamant l’inviolabilité de la personne humaine tout en respectant ses spécificités culturelles et religieuses. Le suffrage universel, un de ses piliers fondamentaux, ne pût être appliqué pendant longtemps et la presse, quatrième pouvoir, fût muselée ou complaisante pour pouvoir permettre un fonctionnement digne d’une Démocratie.
Cette jeune institution avait donc bafoué les règles élémentaires du Droit public au lieu de se confondre avec lui dans une étroite unité, vu que les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire étaient entre les mains d’Habib Bourguiba.
Ainsi, en dépit du bon sens, tous les contre-pouvoirs furent laminés, la République façonnant le non-Droit à sa seule vision despotique. Habile à la manœuvre, elle continua malgré tout de déchaîner des émerveillements conditionnés, même si Bourguiba avait asservi, brisé ou éliminé ses compagnons de route et ses ennemis durant sa trajectoire politique.
Le résultat d’une gouvernance tyrannique ne pouvait induire que présidence à vie, dévalorisation de la fonction présidentielle avec inaptitude d’un président sénile et dément puis enfin sa mise à l’écart forcée par un coup d’état médical, excluant tout recours au vote électoral …
Puis, nous fût imposé l’inculte Ben Ali à la Présidence, avec sa cohorte de corrompus et de corrupteurs, usant de méthodes déloyales conformes à sa doctrine ” poigne de fer, mains sales et esprit de malfrat ”. Il falsifia toutes les échéances électorales pour se maintenir au pouvoir, singeant le maître qu’il avait destitué …
Enfin, après une révolution censée en finir avec tous les vétérans du PSD-RCD, le peuple, oublieux de sa souffrance, avait fait élire par un vote futile, un candidat issu du même moule et dont la plus glorieuse action en cinq années, fût de blanchir ses compères qui avaient rendu exsangues les finances du pays …
Ainsi git la République Tunisienne ! Si elle avait été exemplaire, elle serait un rempart contre ce flot d’anarchie, au lieu d’en être le précurseur. Soixante deux ans de sous-développement endémique, d’accaparement malsain des richesses par la même oligarchie politique. Et aujourd’hui, il y a profusion de nombreux partis siamois et un trop-plein de candidats suite au long vide démocratique. Selon vous, qui tirera profit de l’éparpillement des voix, sinon certains candidats doublons issus du système, que l’on veut imposer à la masse ? …
D’ailleurs, il ne sera pas étonnant que, lors de la campagne électorale, l’on débatte encore et toujours d’Islam et de Bourguiba, au lieu de chiffrer PIB, pouvoir d’achat, inflation, croissance et programmes économiques pour lutter contre l’endettement, la dévaluation du dinar et la fuite des investisseurs. Pour la plupart des candidats, être Président, c’est continuer à traîner l’immodestie, le manque de lucidité, l’hypnotisme hérité, le cynisme et surtout flirter avec la double conscience, celle que l’on voudrait irréprochable pour le peuple et borderline pour certains candidats.
Depuis longtemps, en République, il n’est question que d’affairisme et goinfrerie au sommet de l’État …
Tout cela, je l’écris pour vous rappeler qu’en 1956, un Monarque voulût faire de la Tunisie, un modèle de Monarchie parlementaire avec une constitution bien ficelée. Un projet avant-gardiste dans le monde arabo-musulman, passé volontairement sous silence dans les programmes d’Histoire et dans le conscient du peuple tunisien.
Un Roi, bien qu’ayant un rôle honoraire, devait être l’autorité morale du pays, empêchant tout débordement tyrannique. Au sommet du pouvoir, aurait existé un partage des tâches politiques : un premier ministre se pliant à la Constitution, responsable de la politique intérieure, face à un monarque en charge de l’intégrité du territoire et arbitre entre les partis en cas de profond différend. Ce type de régime fût couronné de succès en Espagne, Royaume Uni, Hollande, Belgique et Scandinavie et aurait pu être une réussite en Tunisie …
Enfin, en relisant mon écrit, je me dis qu’il y manque l’essentiel : le sentiment de colère contre tous ces républicains nombrilistes qui, en six décennies à peine, auront mis la Tunisie six pieds sous terre.
Aujourd’hui, j’ai aussi la hargne contre tous ces bateleurs d’estrade et ces moissonneurs d’urnes qui auront sacrifié l’avenir du pays pour prendre ou garder le pouvoir. Et je regrette que la Tunisie des Hommes n’ait pas su prendre son Destin en main.
Je le pense sincèrement, de l’aveu de Louis Ferdinand Céline lorsqu’il avait affirmé : ” le peuple, il n’a pas d’idéal, il n’a que des besoins ” …