Alors que le Tout-Tunis glisse inexorablement vers un pourrissement généralisé, des irréductibles continuent à magnifier la République en honorant son fondateur. Ils s’en prennent encore à la période beylicale par procuration et font partie de cette lignée qui a abandonné sa raison critique pour laisser place à la subjectivité des sentiments.
J’ai fini par comprendre qu’ils faisaient fi de la sincérité la plus élémentaire en usant de contorsions idéologiques héritées de la Dictature. Mais le résultat est là sous leurs yeux aveuglés par une propagande démentielle : le miracle républicain tant espéré et idéalisé par Bourguiba n’a pas eu lieu. Aujourd’hui, tous ceux qui en doutent ne savent que s’agiter sur du papier en se résignant sur le sort d’une Nation de plus en plus rapetissée …
Malheureusement, le devenir du pays me donne cruellement raison et j’en veux aux hommes de pouvoir d’avoir disqualifié une si merveilleuse contrée. De guerre lasse, celle-ci a payé le prix fort du péché d’orgueil, de l’arrogance et de l’incompétence …
De mémoire de Tunisie indépendante, jamais l’effondrement de civilisation n’a été au plus bas en raison des guignolades des élus et leurs surenchères nihilistes alors que l’élite des années soixante était remarquable avant d’être combattue et éliminée par Bourguiba.
À son tour, ce peuple si fier a fini par devenir une moelle épinière par sa soumission volontaire et la banalisation de l’autosuffisance intellectuelle. Et il faut y rajouter pêle-mêle le déclin économique, le rationnement des denrées de base, la mort des services publics, la vassalisation du pays, l’absence des droite et gauche traditionnelles, la punition de la richesse bien acquise, la chasse aux Africains et la résurgence quasi-attendue de la Dictature devant cette gabegie indescriptible …
Sombre tableau malgré les quolibets des détracteurs à mon égard, comme si cette situation m’enchantait. Mais j’avais prévu cette régression alors qu’eux font encore la courte échelle aux ratés de Bourguiba de toute bonne foi, leur analyse politique étant en proie aux habituelles compromissions. Selon mes immuables principes, j’ai toujours refusé de venir sur le terrain miné du sentimentalisme qu’ils affectionnent en permanence …
Alors, faut-il chasser cette République, responsable de l’enfer que vivent au quotidien les Tunisiens ? Je ne me permettrai pas de répondre à cette question car elle ne me concerne plus, tellement ce système institutionnel s’est politisé dans la bouche de ses thuriféraires. C’est à eux de décortiquer avec soin ce qu’elle a contenu de scandaleux. Même si l’on organisait un référendum aujourd’hui, il aurait l’aval de la majorité pour rejeter la Monarchie. Renan l’avait prédit : ”une Nation n’existe que si elle a conscience d’avoir une Histoire partagée. Si elle en rejette une partie comme honteuse, c’est qu’elle s’est dé-nationalisée”.
Ne jamais assumer son amour du passé fut le choix de Bourguiba pour justifier son coup d’état anticonstitutionnel. Il a choisi d’éduquer son peuple à la négation de l’histoire beylicale ou à sa réduction à un cabinet des horreurs. ”Ceux qui tiennent le passé tiennent l’avenir et ceux qui tiennent le présent tiennent le passé”, avait écrit Orwell dans son roman -1984 -. Et l’on a la nette impression qu’il sous-entendait également la Tunisie Républicaine …
Au final, ma passion pour la Tunisie fait qu’il est aujourd’hui inacceptable pour moi que ce pays soit remisé dans les placards poussiéreux de la dégringolade. Quel que soit le système au pouvoir, il est nécessaire qu’il effectue un diagnostic urgent pour rehausser les indices économiques. À cet effet, un nouveau premier ministre, descendant beylical, loyal et travailleur, s’attelle à cette tâche qui paraît très difficile mais pas insurmontable …
Il est un temps pour le travail et l’union et un autre pour la critique. Un temps pour le cannibalisme et un autre pour le patriotisme …