Il est toujours temps de nous interroger sur ce qui vaut la peine de nous révolter en toute première urgence : le droit à la modernité ou celui à la dignité. Aucune, non aucune déshumanisation par pauvreté ne convertit un être désespéré à l’espoir, parce qu’il épuise sa colère instantanée pour la renforcer dans l’avenir. Comment pourrait-on résister contre l’inconsistance du pouvoir d’achat, devenue endémique ?
Alors que le bateau coule par la faute de richesses honteusement accumulées ou dissimulées, certains désespèrent en changeant de navire idéologique. Pour ceux qui goûtent de plus en plus à la misère, la sélection est politique : elle n’est simplement plus normative et n’engendrera qu’une révolte violente et vulgaire …
Autre ânerie de ces temps de chamailleries électorales, c’est de nous vendre une idéologie importée sous le label ”modernité” sous les yeux ringards d’un certain nombre de contemplateurs, alors que c’est du pur enfumage, parce que toute modernité tient compte en premier lieu de références culturelles, sociétales et religieuses pour ne pas aller à l’encontre du modus vivendi national et de la voix populi.
Quand comprendra-t-on que l’on ne peut être moderne quand on est pauvre et oublié ? Que l’on est d’abord indigné d’avoir le ventre creux puis enragé de vivre sa précarité avec l’indifférence des autres ? Qu’à l’inverse, on peut prétendre à la modernité quand on est bourgeois car on n’a guère le temps de s’indigner ?
À ces politiciens de la vingt-cinquième heure, ne faut-il pas un travail philosophique sur le partage des richesses, sans tomber dans le communisme manichéen et ne doit-on pas se liguer contre ce dénuement mortifère pour libérer enfin ceux qui en sont profondément victimes ? …
C’est pourquoi, dans le champ de bataille des idées que l’on exprime à l’aube de ce deuxième tour électoral, un personnage du nouveau genre a fait son apparition. C’est le lanceur d’alerte qui dénonce les injustices sociales profitables à une majorité de responsables corrompus, protégés par les pouvoirs en place.
Plutôt que lui chercher des inimitiés, certains feraient mieux de se révolter contre le silence coupable de tous ceux qui savent et se taisent, pour ne pas mettre en péril leur confort ou leur carrière. Je n’en peux plus de supporter cette image d’une population versatile qui règle ses différends sur ses émotions et qui se trompe lourdement de combat : la Tunisie coule et se gargarise d’improbabilités gravissimes et on en est toujours à prolonger ce combat anachronique, modernistes contre conservateurs. Autant de manipulations, d’arrangements avec la vérité, afin de rassurer le bon nanti obéissant et sauver la face, accessoirement les profits, de certains autres …
À l’aube du second tour, les candidats en finale ont tous deux joué dans la cour des démunis. Les autres, pour la plupart insensibles à la fracture sociale, parce qu’ils semblaient vivre dans une Tunisie imaginaire, ont été renvoyés à une autre session électorale. C’est qu’il y a bien une raison évidente …
Malgré les fausses accusations, les explications alambiquées, les silences complices et les coups de menton hautains de toute une génération acquise à l’ancien système, le lanceur d’alerte, légitimement né, vous aura prévenus. Devant une société d’aplatis qui a une chance de se redresser, l’on ne veut toujours pas effacer de sa mémoire, le disque dur de soixante deux années de République incompétente. Trois Républiques de gauloiseries, alors pourquoi pas une quatrième pour augmenter dette, corruption, pauvreté, injustice, dévaluation du dinar, désertion touristique, naufrage économique et fuite des investisseurs ?
À vous de voir …
Dans les démocraties authentiques, on voudrait élire des incorruptibles, reconnus pour leur sérieux, leur probité et leur patriotisme. En Tunisie, l’on reste assujetti au pouvoir tentaculaire du même système, même s’il avait gangréné la Nation.
Devant de tels mensonges prophétisés et certains préjugés réducteurs quant à l’approche de notre perception de la religion, l’intelligentsia se mue en procureur de la République, en cataloguant d’extrémiste celui qui accomplit son devoir religieux et de moderniste, le laïque non pratiquant, sans tenir compte de toute autre vertu. Ce mode de pensée binaire, produit éternel d’une dictature soixantenaire, nous empêchera de faire des choix lucides au redressement du pays …
Les consignes de vote pour les législatives ont donc battu leur plein. Selon moi, les populistes et progressistes ne sont pas ce que l’on croît. Si les parlementaires élus constituent un bloc qui va à l’encontre des décisions du futur Président de la République, le pays fera de l’immobilisme pour encore une législature car il sera ingouvernable …
Quelques soient les résultats d’aujourd’hui, Montaigne avait prévenu : ” philosopher, c’est apprendre à mourir ”. Alors, à trop philosopher dans le superflu et à accepter les résidus du système, nous continuerons donc à mourir à feu doux, tant que l’idéal de changement ne sera pas à l’horizon …