La Défaite Européenne

On est vraiment sans voix en écoutant les déclarations en marge du sommet historique qui s’est tenu hier à Riyad entre les représentants de la Russie et ceux des États-Unis. Nous sommes confrontés à un événement d’importance historique qui aura très probablement d’énormes conséquences sur la vie des gens ; Non seulement sur celles des Ukrainiens, mais aussi sur celles des Européens. En effet, il ressort clairement des déclarations que les entretiens des délégations conduites respectivement par Sergueï Lavrov et Marco Rubio ont été approfondis en termes de questions et de grande envergure en ce qui concerne l’espace géographique : il n’a pas seulement été question de la manière de mettre fin au conflit en Ukraine le plus rapidement possible, mais aussi des équilibres diplomatiques, militaires et économiques qui devront exister entre la Russie et les États-Unis et auxquels les pays vassaux seront appelés à s’adapter volontairement ou non.

Mais allons-y dans l'ordre, en commençant par un aspect qui peut apparemment être considéré comme secondaire, mais qui ne l'est jamais dans les relations entre les êtres humains ; je veux parler de la posture et de la proxémique des participants, c'est-à-dire des attitudes corporelles et des espaces que les hommes interposent entre eux et leurs interlocuteurs. Il est évident que les Russes se sentent vainqueurs et en position de supériorité par rapport aux Américains. Il suffit de regarder les photos de l'attroupement dans l'immense salle du palais royal de Ryad : au centre, les deux Russes, Sergey Lavrov et Yuri Ushakov, qui, face à Marco Rubio, dégagent un sentiment de supériorité et gardent ostensiblement les mains dans les poches.

Certes, dans l’analyse des espaces, il faut aussi souligner qu’il y a probablement aussi une proxémie géographique entre les nations et les capitales : les deux délégations se sont rencontrées à Riyad, en dehors de l’espace européen, pour décider des structures et des équilibres qui se créeront en Europe. Il s’agit d’un message perturbateur qui clarifie comment le Vieux Continent est devenu (ou peut-être est-il destiné à devenir) une région, un continent, substantiellement hors de propos et à considérer comme une semi-colonie de second ordre à laquelle les grandes puissances accordent peu d’importance.

Un autre aspect à prendre en compte est celui de la composition des deux délégations : toutes deux comptent un expert économique dans leurs rangs. Les Russes comptent sur Kirill Dmitriev, économiste et PDG du Fonds d’État russe pour l’investissement direct, un fonds souverain relevant de l’État russe. Les Américains, quant à eux, comptent dans leurs rangs l’homme d’affaires Steve Witkoff. Un signe que Washington et Moscou considèrent que l’aspect économique est pertinent pour parvenir à une paix durable entre les deux puissances. Après tout, il ne pouvait en être autrement avec le passif terrifiant de la position financière nette des États-Unis de 23600 milliards de dollars. Mais il faut dire que mettre en avant les experts économiques dans les délégations diplomatiques signifie signaler clairement comment cet aspect fondamental a quitté la liste des questions qui doivent être officiellement réduites au silence pour entrer dans celle dont il faut parler clairement.

Un autre aspect fondamental est l'inversion de la composition des tables diplomatiques. Alors que par le passé, Washington se mettait d'abord d'accord avec ses alliés et amenait ensuite à la table des négociations ce qui avait été convenu précédemment, aujourd'hui, avec l'administration Trump, tout semble avoir été chamboulé : Washington négocie directement avec les grandes puissances (en l'occurrence la Russie) sans consulter personne au préalable, puis demande aux anciens pays alliés d'accepter ce qui a été convenu sans un mot. Le concept d'Occident collectif peut être considéré comme mort !

Pour en venir aux résultats concrets de ce sommet, disons que la première étape fondamentale a été le rétablissement complet des relations diplomatiques entre les deux puissances, avec le retour de leurs représentations diplomatiques respectives dans les ambassades aux niveaux d’avant la crise.

Sur la crise ukrainienne, les premières approches très prometteuses ont été faites. Les Américains ont proposé d'envoyer des troupes de maintien de la paix sur la ligne de front, en parlant notamment de troupes brésiliennes et chinoises. En outre, Washington a proposé un moratoire sur les attaques contre les centrales électriques et toutes les infrastructures énergétiques. Du côté russe, en revanche, on a souligné que Moscou n'a pas l'intention d'accepter les troupes de maintien de la paix des pays européens, car elles sont considérées comme des troupes déguisées de l'OTAN. En ce qui concerne le moratoire sur le bombardement des infrastructures énergétiques, les Russes ont rappelé qu'ils font beaucoup plus de mal aux Ukrainiens que Kiev ne leur en fait, mais tout compte fait, il semble que l'on puisse en parler tant que quelqu'un, comme l'a dit Lavrov, "tape sur la main de Zelensky" qui a bombardé la campagne de pompage de pétrole kazakh à Kouban dans le Caucase russe, portant paradoxalement plus atteinte aux intérêts occidentaux qu'aux intérêts russes.

Mais c’est sur le plan économique à grande échelle que d’excellentes perspectives semblent s’être ouvertes dans les relations bilatérales entre Washington et Moscou avec le secrétaire d’État américain Marco Rubio qui a déclaré : « L’Amérique doit profiter de l’incroyable opportunité de collaborer avec la Russie au niveau géopolitique, sur des questions d’intérêt commun, et franchement aussi au niveau économique sur des questions qui, espérons-le, s’avéreront positives pour le monde et amélioreront les relations entre deux pays importants. Ces concepts sont également confirmés en grande partie par Kirill Dmitriev, qui a parlé ouvertement d’une éventuelle coopération russo-américaine dans le domaine de l’énergie en ce qui concerne les champs de l’Arctique.

Une autre question fondamentale qui a été discutée était celle de la position future de Kiev sur la scène internationale. Pour la délégation russe, l’Ukraine ne devrait pas faire partie de l’OTAN mais si Kiev le souhaite, elle pourra rejoindre l’Union européenne. Cette proposition semble raisonnable, mais en réalité, il s’agit - à mon avis - d’une pilule empoisonnée donnée aux pays européens. En effet, l’Ukraine est un pays complètement détruit et sera également peuplée d’une population âgée et souvent d’anciens soldats handicapés nécessitant des soins coûteux. En substance, avec l’entrée de l’Ukraine dans l’UE, l’Europe devra payer les énormes dépenses pour la reconstruction (Bloomberg les évalue à environ 500 milliards de dollars sur 10 ans) et pour le bien-être, alors qu’en substance, ils n’obtiendront rien en retour, étant donné que les ressources minières du pays ont également été substantiellement données aux Américains. Comment comprendre un fardeau substantiellement insoutenable pour l’Europe qui, en plus des coûts de la reconstruction de l’Ukraine, devra supporter le coût des prochains tarifs commerciaux que l’administration Trump imposera en plus bien sûr de l’augmentation anormale des dépenses militaires, étant donné que les Américains ont déjà officiellement déclaré qu’ils n’entendaient plus soutenir la défense européenne en prenant en charge l’essentiel des dépenses.

Bref, c'est une véritable catastrophe économique qui s'annonce pour l'Europe. Il s'agit d'une "raclée" bien méritée, étant donné la politique déflationniste insensée menée depuis plus de 20 ans, qui a permis aux produits européens (en particulier aux produits allemands) d'attaquer les marchés mondiaux, en battant les produits américains. Une conduite qui, comme Keynes l'avait déjà signalé dans ses carnets, conduit à long terme à des conflits armés ("La moneta internazionale", publié en Italie par Sellerio). Cette fois encore, il en a été ainsi, et cette fois encore, l'Allemagne a perdu, entraînant toute l'Europe dans sa déroute.

L’Europe répond à cette catastrophe historique par des sommets enfumés qui, en plus de ne pas prendre de décisions concrètes, n’offrent même plus les habituelles et périmées séances de photos avec les sourires éblouissants des dirigeants européens. Cette fois, il n’y a plus que la facture à payer, comme en témoigne le regard sombre de Meloni sur la photo souvenir de l’inutile sommet Macron à Paris.

Une dernière considération : beaucoup diront que la défaite imminente de l’Europe sera le résultat de la « trahison » de l’administration Trump qui a traité directement avec les Russes en contournant les « alliés » européens. En réalité, lorsque le risque de défaite émerge, les Américains agissent toujours comme ça ; également en 2021, ils ont décidé unilatéralement de se retirer d’Afghanistan et lors du sommet des ministres de la Défense de l’OTAN qui a suivi, aux objections des Italiens et des Britanniques, ils ont simplement répondu « vous restez, si vous voulez ! » exactement comme maintenant, ils ne forcent pas les Européens à faire la paix avec la Russie : Le secrétaire à la Défense Pit Hegseth a déjà précisé que si les Européens le souhaitent, ils peuvent envoyer des contingents en Ukraine … mais sans la couverture de l’article 5 de l’OTAN.

Démocrates ou républicains, peu de changements, quand les intérêts vitaux des États-Unis sont en jeu, à Washington ils ne pensent pas une seconde à se débarrasser des « alliés » européens.

Poster commentaire - أضف تعليقا

أي تعليق مسيء خارجا عن حدود الأخلاق ولا علاقة له بالمقال سيتم حذفه
Tout commentaire injurieux et sans rapport avec l'article sera supprimé.

Commentaires - تعليقات
Pas de commentaires - لا توجد تعليقات