Qu’est-ce qui se cache derrière le (faux) « plan de paix » de Trump ?

Timeo Danaos et dona ferentes

(« Je crains les Danaïs même quand ils apportent des cadeaux »)

Énéide, Publius Virgil Maron.

Comme on pouvait s’y attendre sur l’ordre du jour des affaires internationales, le nouveau président américain Donald Trump place la crise ukrainienne et la question européenne au premier plan. En fait, immédiatement après la victoire du magnat de New York, le Washington Post a divulgué un projet de plan de paix pour l’Ukraine préparé par l’entourage de Trump.

À mon humble avis, le plan publié jouit d’une forte crédibilité parce qu’il correspond pleinement à ce que sont les intérêts réels des États-Unis ; des intérêts - soit dit en passant - qui restent les mêmes quel que soit le locataire de la Maison Blanche.

Dans le jeu ukrainien, les intérêts américains sous-jacents, à ce stade, sont les suivants : (a) éviter un engagement direct dans la guerre ukrainienne, (b) empêcher la Russie d’avoir une victoire complète, (c) geler la situation pour éviter l’effondrement de l’Ukraine et son retour dans la sphère d’influence de Moscou.

En fait, le plan divulgué comprendrait, (1) le gel du conflit avec la concession de facto (mais peut-être aussi la reconnaissance formelle) à la Russie des territoires conquis, (2) la création d’une zone tampon contrôlée par des troupes européennes mais pas américaines, (3) la reconstitution de l’armée ukrainienne épuisée par la guerre, (4) la promesse solennelle de la non-entrée de l’Ukraine dans l’OTAN pour les vingt prochaines années.

Comme on le voit, le plan de paix de Trump est un piège ingénieux pour les Russes qui se retrouveraient en fait sans rien dans les mains tandis que l'Occident pourrait conserver le régime de Kiev comme un bélier prêt à être lancé sur Moscou. Le seul point de concession apparent envers la Russie est la non-entrée de Kiev dans l'OTAN pour les vingt prochaines années. En effet, avec l'entrée des troupes européennes le long de l'énorme frontière russo-ukrainienne (800 km), nous nous retrouverions dans la situation paradoxale où, si l'Ukraine n'adhère pas à l'OTAN, les troupes de l'OTAN entreront quand même en Ukraine.

Comme on peut le deviner, Moscou aura du mal à accepter un tel plan qui les laisserait sans rien entre leurs mains après plus de deux ans d’un conflit qui a eu des coûts humains, politiques et économiques importants. Ce que la plate-forme de négociation américaine montre clairement, cependant, c’est que le retour de Trump sur la scène ne signifie pas – comme le pensent beaucoup de ses partisans européens – que le nouveau Messie est arrivé qui apportera la paix à l’Europe et au monde, ouvrant ainsi un nouvel âge d’or.

Trump est lié par ce que sont les problèmes américains urgents et parmi ceux-ci, il y a certainement celui de se désengager autant que possible du théâtre européen pour se concentrer sur le Moyen-Orient et surtout sur l’Extrême-Orient. Mais ce désengagement doit se faire avec beaucoup de ruse, en évitant de concéder une véritable victoire à Moscou et donc de ne lui offrir qu’une stratégie de sortie pour sauver la face à Poutine. Il faut aussi considérer que, dans la logique de Washington, cette stratégie de sortie devrait peut-être aussi ouvrir une tête de pont occidentale à Moscou pour réussir l’entreprise de rapprochement de la Russie de l’Occident en la détachant du grand rival stratégique chinois. Certes, c’est aussi une option envisagée à Washington, puisque ses stratèges élaborent des plans qui laissent différentes voies ouvertes en fonction du mouvement de l’interlocuteur.

La stratégie de Trump – à y regarder de plus près – est basée sur la logique de la « carotte et du bâton » : si d’un côté une stratégie de sortie est proposée à Moscou, de l’autre des menaces subtiles sont également proférées. C’est certainement ainsi qu’il faut bien comprendre le prétendu appel téléphonique entre Trump et Poutine, dans lequel le nouveau président aurait « fortement conseillé » aux Russes de ne pas s’engager davantage dans le conflit.

Un autre aspect à prendre en compte est l’aspect psychologique. La proposition de Trump semble également vouloir accorder à Poutine une sortie de la scène en vainqueur (ou du moins en tant que non-vaincu) en lui accordant l’inscription de son nom parmi les grands de l’histoire russe et en laissant les problèmes complètement non résolus à son successeur. Un plan qui tend donc à taquiner le narcissisme de Poutine…

Mais il y a un autre côté du plan qui, à y regarder de plus près, laisse perplexe et que je n’hésite pas à qualifier de méphistophélique. Je fais référence au point de vue européen du plan. L’Europe serait appelée à envoyer les troupes de ses pays devant la frontière russe. Cette circonstance doit être considérée comme extrêmement dangereuse (clairement dans le cas peu probable où les Russes l’accepteraient) : la guerre a éclaté précisément parce que les Russes ne voulaient pas de troupes occidentales à leurs frontières et se retrouveraient... avec des troupes occidentales à ses frontières. Il est clair que, tôt ou tard, cette circonstance conduira à une résurgence de la crise avec de probables affrontements entre troupes russes et troupes européennes. En substance, nous nous retrouverons avec le risque très élevé de répéter le scénario qui s’est déjà produit lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, avec des pays européens entrant en guerre et les États-Unis prêts à intervenir lorsque les deux parties se sont démolies mutuellement.

Enfin, il convient de noter qu’en Europe, il y a déjà des gens qui sont d’une manière ou d’une autre prêts à soutenir le plan de Trump. L’exemple le plus frappant est certainement celui du candidat de la CDU à la chancellerie de Berlin, Friedrich Merz, qui, dans une interview avec Stern, s’est dit prêt à appeler Vladimir Poutine « s’il y a une raison à cela et si un accord est trouvé entre les partenaires européens et transatlantiques ». Sinon, il se déclare prêt à accorder à l’Ukraine des missiles de croisière Taurus et à donner l’autorisation de frapper profondément la Russie. Par conséquent, pour Merz, soit la Russie accepte le plan américain (ce qui exposera probablement les pays européens à un conflit direct avec la Russie), soit elle fournira des missiles de croisière allemands pour frapper la Russie en profondeur, sachant que Moscou a déjà déclaré que dans cette éventualité, elle considérera les pays fournissant les missiles comme faisant directement partie du conflit.

Il n’est pas surprenant que M. Merz soit l’ancien directeur de BlackRock Allemagne et donc certainement un homme de foi atlantique avérée. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut expliquer sa volonté d’être prêt à risquer de sacrifier l’Allemagne et l’Europe pour satisfaire les intérêts de Washington.

En fin de compte, le plan de "paix" concocté à Washington semble avoir pour cuisinière une Victoria Nuland à la testostérone à mille, en raison de sa dangerosité. Tout ce que nous pouvons faire, c'est espérer que Poutine et Lavrov le rejettent parce que nos dirigeants sont fondamentalement prêts à (notre) sacrifice pour se plier au nouveau dirigeant de Washington.

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