De tous les spécialistes qui se sont succédé dans les médias pour atténuer le choc du maintien de la Tunisie sur la blacklist de l’Union européenne, c’est Samir Brahimi, actuel président du Centre d’études Hédi Nouira, qui a été le plus clair. Parce qu’il fût le président du GAFI Maghreb-Moyen-Orient et secrétaire général de la CTAF (Commission tunisienne des analyses financières (Cellule de Renseignement Financier - FIU), il fût très précis au cours de l’émission politique de la matinale de RTCI « l’invité de marque ».
Il expliqua le processus d’évaluation et les modalités de mise à l’index par le GAFI de tel ou tel pays puis de son inscription sur la liste noire de l’UE. Il dit pourquoi la Suisse n’y est pas car la surveillance d’un pays européen hors UE répond à une autre procédure et pourquoi la Libye n’y est pas non plus car sa situation politique ne se prête pas à une évaluation du GAFI.
Mais la Tunisie y est maintenue bien qu’elle ait fait beaucoup d’efforts et qu’elle soit évaluée positivement par le GAFI MENA : ainsi elle a respecté 10 des 12 exigences du GAFI en ce qui concerne la transparence en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Particulièrement, un registre national des entreprises a été récemment mis en ligne et des corps de métiers libéraux ainsi que des associations ont adhéré aux normes. Le GAFI viendra dans quelques semaines en vérifier l’application effective.
Il reste un gros point noir : les avocats ont refusé de se plier à cette obligation de transparence. On se souvient de leur tollé à l’ARP lors du vote de la loi sur le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. En fait, leur protestation avait commencé des semaines auparavant. Ils invoquaient le secret professionnel qu’une telle obligation violerait et en politisant l’affaire, ils accusaient la gouvernance de vouloir mettre son nez dans leurs dossiers surtout pour les avocats en opposition. Tous firent bloc autour de l’Ordre, tous les députés y compris - me semble-t-il - ceux du Front populaire qui compte beaucoup d’avocats, et ils rallièrent à leur cause les hommes politiques et les journalistes.
Bref, pratiquement tous les députés, toutes tendances confondues, finirent par dispenser le corps des avocats de l’obligation de se conformer à cette norme financière internationale grâce à l’intervention décisive d’une instance constitutionnelle.
Or je me souviens avoir entendu Samir Brahimi quelques temps plus tôt au début de la crise expliquer dans une émission politique matinale de Shems FM ou d’Express FM que seuls quelques avocats d’affaires étaient concernés par cet impératif de transparence d’informer les autorités des volumes d’argent suspects transitant par leurs cabinets et recyclés « proprement » dans des contrats immobiliers ou commerciaux etc. Je me suis même laissé dire que certains avocats ou leurs relais traînaient non loin des frontières, mais cette rumeur vient sans doute de mauvaises langues !
Toujours est-il que cette dérobade des avocats coûtera cher à notre pays en matière d’investissement étranger !
Dans notre société, il est difficile d’aller à contre-voie et de bousculer le politiquement correct. J’avais été particulièrement choquée par cette solidarité, non seulement de corporation mais au-delà, entre politiques de groupes parlementaires et d’obédience contraires. Mais ainsi vont les principes à géométrie variable, que malgré les clivages et les divergences, on se rassemble vite en copains et coquins, contre l’intérêt national, dans une coalition d’intérêts particuliers.