Mokhtar Cervantès, ya Khalfaoui !
Le commentateur politique de l’émission matinale de Shems FM, Mokhtar Khalfaoui, est toujours très bon. Ce premier jour de Ramadan, le jeûne doit lui donner un surcroît d’esprit car il fut aussi très drôle, presque désopilant. Voilà pourquoi je réagis à sa chronique.
Développant la présentation faite par Selim Azzabi selon laquelle Tahya Tounès serait d’emblée « un grand parti », Mokhtar Khalfaoui expliquait comment, au vu de la liste des quelques 300 membres de son Conseil central, ce parti apparaissait en quelque sorte comme un fourgon ramasse-tout, engouffrant des personnes qui la veille encore appartenaient à d’autres formations politiques et qui prenaient ce nouveau train en marche sans annuler le billet de leur précédent embarquement. En somme, ces personnes se retrouvaient « embedded », comme sur les chars américains en route contre l’Irak, encapsulés dans Tahya Tounès.
C’est moi qui souligne cette transhumance. Mokhtar Khalfaoui préfère la référence scientifique du clonage. Ainsi il évoqua l’aventure de la première brebis écossaise Dolly clonée, métaphore d’un copié-collé politique de Nidaa. Il en prolongea la figure de style en rappelant le destin de Dolly, avachie, décomposée, morte avant l’âge naturel de fin de vie de cette espèce caprine.
Il conclut en évoquant l’avertissement de Cervantès : « Il faut donner du temps au temps ». J’avoue que je n’ai pas eu le courage de passer au crible cette liste des 300 membres mais il me semble avoir eu écho de quelques vieux boucs et de quelques petites chèvres de monsieur Seguin fourvoyés dans cette bergerie où rôdent des loups.
Pourtant, pour ne pas être tout à fait désobligeante, je dirais tout de même ce que je pense et ce que j’ai déjà écrit à propos de Tahya Tounès : Il s’agit d’un parti nationaliste dont l’ADN est constitué de nombreux brins du récit national tunisien, estampillé bourguibien. Il s’inscrit dans la généalogie du parti destourien, du vieux au néo-destour, perverti en RCD, reconstruit de bric et de broc en Nidaa Tounes et recomposé sur les débris de ce dernier et selon son pattern.
Il me semble qu’il empruntera davantage à l’identité musulmane et libérale du mouvement des démocrates socialistes/MDS d’Ahmed Mestiri et de Hassib Ben Ammar (grand oncle de Youssef Chahed) plutôt qu’au socialisme destourien, d’autant que l’époque ne se prête plus guère à cette dernière perspective économique et sociale.
Il sera donc moyennement acquis à une émancipation moderniste, modérément engagé pour des droits universels, attaché à l’islamité de la culture tunisienne mais surtout très porté au libéralisme, voire à l’ultra libéralisme, ne dédaignant pas la méthode forte et toujours dans le giron occidental.
Sa capacité à durer sera fonction de l’étoffe de ses leaders et de leur discernement à servir moins les groupes de pression et les minorités privilégiés qu’à procéder plus justement à une redistribution, c’est-à-dire à ajuster son positionnement entre les exigences de la mondialisation libérale et la colère des peuples.
Tandis que je m’apprête à essayer la nouvelle recette ramadanesque de Shems FM, une inattendue chorba frik au poisson, je me dis que c’est dans les vieilles marmites qu’on prépare les meilleures soupes.
Décidément, les commentateurs les plus avisés de la scène politique sont les observateurs les plus âgés parce qu’ils ont le background et la culture politique nécessaires et qu’ils n’ont pas le nez sur le guidon.
Notre pétulant chroniqueur d’aujourd’hui connait certainement la chanson de Pétula Clark « Hello Dolly ». Voilà pourquoi je le salue d’un « Hello Mokhtar Cervantès ya Khalfaoui ».