Qu’ont-ils donc tous à jouer aux petits Gorbatchev ?
Il aura donc fallu le coup de gueule d’Ahmed Seddik, chef d’une des formations du Front populaire, pour que cessent le flou et les conjectures autour du futur candidat de ce regroupement de la gauche radicale à la prochaine élection présidentielle.
C’est qu’en effet l’impétueux impétrant Mongi Rahoui commençait à devenir agaçant, avec sa prétention à faire tomber de son piédestal le commandeur historique de l’opposition de gauche et substituer au leader « naturel » sa propre candidature à la magistrature suprême.
Bien que cela lui soit reconnu comme un droit, nombreux parmi les militants du Front populaire, et parmi les observateurs ou dans la classe politique, considéraient cette candidature comme précipitée, transgressive et certainement redoutable pour l’unité du Front.
Déjà pourtant un scénario, suggéré plus de l’extérieur - par des journalistes par exemple - que de l’intérieur du mouvement, imaginait des élections primaires pour départager les deux postulants, sinon plus de deux.
Se répandant sur tous les plateaux, Mongi Rahoui vantait la modernité d’une telle sélection préalable, la qualifiant de « séisme démocratique ». Quelle présomption, alors que le Front populaire ne dispose de moyen ni de financement ni de contrôle de ce type d’étape !
De plus, Mongi Rahoui répétait à l’envi que même à l’extérieur du Front, les citoyens seraient appelés à voter à ces Primaires. Le voilà aussitôt en campagne électorale à travers le pays, avant même que les instances directionnelles n’aient validé sa candidature !
D’où la colère d’Ahmed Seddik, flairant sans doute un projet de putsch, en tout cas de désignation orientée de l’extérieur, de Mongi Rahoui comme le candidat unique du Front populaire.
Aussi Ahmed Seddik en appela à une réunion d’urgence pour mettre fin à la confusion et probablement couper court aux intentions du « vizir » de supplanter le Calife. Ainsi donc, depuis mardi soir, Hamma Hammami est désigné candidat unique et inévitable du Front populaire à la prochaine élection présidentielle.
Cet accord, obtenu sans doute en tordant la main au représentant de Watad au Conseil central du Front a dû être facilité par le dernier sondage de Sigma conseil, donnant d’ores et déjà 10% d’intentions de vote pour Hamma Hammami aux prochaines élections, score qu’il a réalisé en 2014 alors qu’il était présenté déjà non seulement comme le candidat naturel et historique, mais comme celui qui avait été choisi, pour ainsi dire consacré, par Chokri Belaïd avant son assassinat.
Hamma Hammami est une icône du mouvement de la Gauche tunisienne et souvent par le passé, il fut considéré comme un héros de la résistance à Bourguiba et Ben Ali. Mais son charisme s’est quelque peu écorné et sa majesté hiératique dérange, son autorité peu apte au compromis, surtout avec la Gauche modérée, est contestée et apparait encore plus contestable, aujourd’hui que l’unité de la Gauche sociale est citoyenne devient une urgence.
Hamma Hammami a donc évité de justesse d’être déstabilisé.
Il devrait mettre à profit cette alerte pour apprendre à partager, à composer avec d’autres tendances proches, à se rendre disponible à la négociation et au compromis. Du reste, quelle idée de se présenter à la magistrature suprême alors que notre Constitution confie l’essentiel du pouvoir effectif au chef du gouvernement ?
Il serait tellement plus intéressant que Hamma Hammami conduise des listes communes de la Gauche sociale et populaire aux élections législatives, sans doute aux côtés d’autres figures civiles et syndicales. Il y gagnerait une légitimité populaire renforçant sa légitimité historique, et se donnerait l’occasion d’appliquer en chef de gouvernement le programme qu’il assure avoir composé, ou au moins un programme commun de la Gauche à condition que cette dernière rassemblée obtienne une majorité à l’ARP.
À défaut, Hamma pourrait devenir un chef incontestable de l’opposition redressant ainsi sa notoriété ébranlée et préfigurant une sortie honorable de la vie politique, plus tard.
Quant à Mongi Rahoui, Il est un bon député, un président efficace de la Commission des finances, mais il gagnerait à prendre le temps de « se faire des épaules » comme on dit. Il est possible que, dans sa déconvenue, il déserte le Front populaire en glissant vers un centrisme plus libéral que social.
Est-ce cela qu’Ahmed Seddik et compagnie ont voulu stopper comme « un complot étouffé dans l’œuf », comme on dit dans un langage totalitaire, c’est-à-dire une fracturation du Front populaire et son siphonage au profit d’un centrisme très modéré ?
Mais qu’ont-ils donc tous à vouloir jouer à des petits Gorbatchev ? Déjà Lotfi Zitoun me paraît dans sa perestroïka - je devrais dire ijtihad - de la confrérie d’Ennahdha, risquant de la faire imploser ou alors de se faire éjecter lui-même de la secte.
Le parti communiste tunisien a refait en 1990 sa devanture aux couleurs de la modernité nouvelle à l’Est, il est devenu Ettajdid puis, abandonnant définitivement une rationalité socialiste, il s’est converti en Massar d’où, en « libres enfants de Summerhill », quelques uns ont migré vers Nidaa Tounes et aujourd’hui vers Tahya Tounes.
Est-ce le destin de Mongi Rahoui ? À jouer au petit Gorbatchev, à vouloir une mutation de l’ADN du Front populaire, il prenait le risque de le faire éclater. Mais se souvient-il qu’après l’implosion de l’Union soviétique, un Boris Eltsine s’est enivré du pouvoir et le Tsar Poutine remet bon ordre en Russie. Quant à Gorbatchev, il a fini par faire la publicité de Pizza Hut.