La situation ubuesque de la présidence en Algérie nous est un avertissement !
Nadia Madaci, journaliste présentatrice des informations sur Canal Algérie vient de quitter son poste car elle a été obligée, juste au moment de sa prise d’antenne, de lire le message du président Bouteflika. Au vu de son état, ce dernier sait-il seulement qu’il a adressé une lettre à la nation, en connaît-il le contenu ?
L’oligarchie du FLN et la fratrie du président, qui gouvernent en Algérie, appuyées sur la nomenklatura des militaires et des hommes d’affaires, ont fini par trouver une solution de temporisation reconduisant dans une farce électorale, le président Bouteflika pour un an jusqu’à des élections anticipées, proposition accompagnée de promesses de changement au terme d’une conférence nationale dont nul ne sait encore quand, comment et avec qui elle se tiendra.
Un an de plus pour un président inapte à diriger un pays, un an rajouté à 20 ans de concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul, sans avoir envisagé particulièrement, dans sa dernière mandature, la moindre transition ou la moindre succession !
Mais il ne s’agit pas seulement pour les dirigeants actuels de gagner du temps, il s’agit aussi, sur l’acceptation ou sur le refus de cette solution provisoire, de diviser l’opposition dont les principales figures restent en retrait et de semer le doute dans le mouvement populaire. Ce dernier, jusqu’ici énergique, pacifique et unitaire autour d’une grande revendication politique, va-t-il s’effilocher, se démembrer, ou va-t-il résister jusqu’au dénouement de cette situation ubuesque ?
Pathétiques gérontocrates, vieillards cacochymes avides d’un pouvoir à vie et de leur propre reconduction par-delà la mort, dans une succession dynastique !
Dans le monde arabo-musulman (mais pas que… ), des pays du Golfe où les monarchies règlent leur héritage entre une progéniture pléthorique dans le secret des palais, jusqu’aux dictatures ou États autoritaires dont les chefs sont déposés comme Bourguiba ou chassés avant que l’ensemble de la nation ne soit couverte des rides de leurs meurtrissures, comme en Tunisie, Libye, Irak, jusqu’en Iran où le guide suprême s’éternise cruellement, en Azerbaïdjan où un président mourant lègue son siège à son fils, aux pays d’Asie centrale où dans le paroxysme d’une inspiration soviétique, des dictateurs s’octroient l’immortalité de statues d’or massif à leur effigie, les pouvoirs ne semblent pas encore avoir compris que le monde change. Il n’est qu’en Malaisie où un vieux président s’est retiré dignement…
Chez nous, notre président est, avec la reine d’Angleterre, le plus vieux dirigeant de la planète, une longévité à inscrire, au même titre que la surface de notre drapeau national, au Guinness Book ! Béji Caïd Essebsi a bon pied bon œil, il a l’esprit vif et il s’exprime avec à propos et habileté en public, il ne se prive pas de décocher une vanne au passage au fils adoptif ingrat, il est une personnalité alerte et sympathique à l’étranger, où il devrait rester tant il y est en pleine forme, dans une représentation perpétuelle de notre pays et la conduite de sa politique étrangère, encore que sur ce chapitre il y aurait à redire mais c’est un autre sujet.
À l’inverse, intra-muros en Tunisie, il n’est pas autant dessaisi des pouvoirs au profit du chef du gouvernement qu’on le dit. Du reste, il a une telle faconde, une telle expérience du pouvoir, un tel charisme et ce sens si particulier de sa magistrature suprême qu’il tient du Combattant Bourguiba, qu’il élargit d’autorité ses prérogatives. Il est constamment à la manœuvre en parallèle, en public ou dans l’opacité, avec la science manœuvrière du Prince qui n’aurait pas déplu à Machiavel. Tant d’atouts que ses féaux de Nidaa l’appellent à se représenter à l’élection présidentielle dans d’affligeantes suppliques, comme un aveu de leur propre échec !
D’autres, dont de vieux professeurs de droit constitutionnel, soumettent à son appétit d’omnipotence un projet de révision de la Constitution, à quelques mois des élections, projet qui instituerait un régime présidentiel aux pouvoirs renforcés.
Conçoit-on quel exercice en ferait Béji Caïd Essebsi si tel était le cas, lui qui ne démord pas de léguer à son fils l’autorité exclusive sur le mouvement Nidaa et d’en faire, dans la suite, un Essebsi II comme le seul en capacité de s’opposer ou de s’allier au parti faiseur de rois, Ennahdha ! Imagine-t-on surtout si un populiste abuseur des foules, dégénéré ou archaïque venait à accéder à une présidence de pleins pouvoirs ?
Ce type de régime présidentiel fort montre bien ses failles même aux États-Unis ou en France, où des contre-pouvoirs élus ou une société civile très participative résistent à la toute-puissance impulsive et envahissante de Trump ou à l’autorité jupitérienne de Macron.
Dans un pays comme la Tunisie où les institutions sont encore fragiles et inachevées et où la culture démocratique n’est ni véritablement intégrée ni partagée, qu’adviendrait-il d’une trop grande concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme ? L’histoire va dans le sens d’une démocratie la plus représentative possible, la plus directe possible, dans un parlementarisme rigoureux avec une stricte séparation des pouvoirs et la possibilité d’une alternance.
Elle va aussi dans le sens des flux décisionnels du bas vers le haut, des remontées de la société vers le sommet de l’État. Cette pensée s’accompagne d’un rajeunissement du personnel politique et du renouvellement de la gouvernance dans l’alternance des majorités. Car en fait, il ne s’agit pas tant d’âge mais d’équilibre des pouvoirs et des contre-pouvoirs, il s’agit d’éducation et de culture démocratiques. Cela se dit aussi en chanson :
« Le temps ne fait rien à l’affaire,
Quand on est con, on est con,
Petits cons d’la dernière averse,
Vieux cons des neiges d’antan »
Cela chanté, il reste que toute vieillesse est un naufrage et que tout vieillissement au pouvoir est une calamité : la situation ubuesque de la présidence algérienne nous est un avertissement.