La recherche du bonheur devrait être au cœur du projet de la Gauche sociale et de l’UGTT.
Les Tunisiens sont malheureux si j’en crois les statistiques concernant la dépression, le suicide, l’exil volontaire ou l’émigration clandestine, ces corps abîmés de jeunes diplômés ou non, échoués sur les plages d’où ils ont embarqué pour d’ultimes errances et ces apparences brisées de travailleurs précarisés :
« Ce qu’on fait de vous, hommes et femmes Vous regarder m’arrache l’âme. »
Notre pays, on s’en doute, ne fait pas partie du haut du tableau du Wold happiness report. Et pourtant, ce sera comme on le voudra, un hasard du calendrier ou un signe du destin mais l’ONU a décrété Journée internationale du bonheur, le 20 mars qui est en même temps la date inaugurale du printemps et celle de notre fête nationale de l’Indépendance.
Il se trouve aussi que c’est à l’initiative du futur troisième président des Etats-Unis Thomas Jefferson, que furent inscrites en préambule de la Déclaration d’indépendance, les « vérités évidentes » de ces « droits inaliénables » que sont les droit à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur.
Les Etats-Unis sont avec quelques rares Etats scandinaves et avec le Japon et la Corée du Sud, les pays qui consacrent constitutionnellement, le droit au bonheur. Il en va de même pour le Bhoutan, petit royaume coincé entre la Chine et l’Inde, sur les hauteurs de l’Himalaya, là où le seul Tunisien à s’en approcher fut le jeune Tahar Manaï qui planta sur le mont Everest, notre drapeau national.
La seule réforme constitutionnelle qui vaille, ce n’est pas d’élargir les pouvoirs de celui-ci ou de celui là mais c’est que le président de la République prenne à 92 ans la même initiative que celle prise à 17 ans par le roi du Bhoutan, c’est-à-dire de frapper dans le marbre, le droit au bonheur comme une garantie constitutionnelle, un droit « opposable » pour tous les Tunisiens auxquels le bonheur serait refusé.
Le droit au bonheur fut une « idée neuve en Europe», proclamé par Saint Just l’icône de la Révolution française. Mais le bonheur est une recherche ancienne et depuis quelques décennies, cette exigence trouve des « accommodements raisonnables » avec la mondialisation libérale dont elle corrige les souffrances et la misère sociales qu’elle engendre.
Les institutions internationales qui se préoccupent de développement humain, ont apporté des outils de mesure du bonheur confondu avec le bien-être social car le bonheur n’est pas seulement un vécu intime, il est aussi un projet social.
Parmi ces indicateurs, nous citerons le PIB par habitant – qu’au Bhoutan, le roi a converti en « Bonheur International Brut » - l’espérance de vie et le degré de scolarisation. A ces indicateurs le PNUD a ajouté l’égalité des chances et l’accès des femmes aux activités économiques, le taux de pauvreté et les données sur le développement durable.
Ce dernier dimanche, au cours de l’émission Géopolitique de TV5, Ismaël Ben Dahan, professeur de droit à l’Université de Lausanne, a indiqué de nouveaux instruments de mesure du bonheur, en politisant davantage l’exigence. Il explicitait particulièrement les notions de soutien social grâce aux services publics, la générosité par le biais de la redistribution de la richesse nationale, la solidarité par le lien social inclusif (et je souligne, intégrant particulièrement la diversité des croyances ou la différence sexuelle), la confiance dans les gouvernants rapportée au degré de corruption, enfin la sécurité c’est-à-dire la protection contre toutes les violences. En somme, tout un programme politique…
La Gauche tunisienne semble évoluer aujourd’hui vers une social-démocratie dans le lignage de Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, ardent vilipendeur des prescriptions du FMI et membre fondateur de la ligue mondiale pour le bonheur.
Pourquoi ne se refonderait-elle pas et ne rassemblerait-elle pas les fragments d’initiatives citoyennes et partisanes autour de la recherche du bonheur, comme l’axe fondamental de son projet social et de toute politique publique ? Pourquoi l’UGTT socle de la Nation, ne placerait-elle pas l’exigence du droit au bonheur pour tous, au cœur du programme socio-économique que la Centrale syndicale compose dans la perspective d’une contribution à la campagne électorale ?
Face à une Droite très libérale limite mafieuse et contre l’émergence de populismes redoutables parce qu’ils sont mystificateurs et qu’ils manipulent la question identitaire, la revendication commune du droit au bonheur par une Gauche sociale, syndicale et citoyenne pourrait être mobilisatrice, entrainante, fédératrice.
Car « Le bonheur n’est pas seulement une destination, c’est une manière de voyager ensemble. ».