Loin des confusions de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, qui amalgame à la recette de l’islamo-gauchisme les assaillants du Capitole, les mouvements LGBT et les Gender studies, la riche histoire de la relation entre les intellectuels (d’extrême-gauche puis de gauche) et le phénomène islamiste recèle en revanche quelques convergences qui pourraient éventuellement donner un fondement factuel et historique à une notion d’”islamo-gauchisme”.
Dans cette configuration, le “gauchisme” désigne “la gauche de la gauche”, (extérieure aux socialistes et aux communistes) et l’“islam” fait référence aux différents courants de cet islam politique dont l’assise populaire s’est spectaculairement explicitée à l’aube des printemps arabes.
Nous pourrions être ainsi effectivement fondés à labelliser “islamo-gauchiste” la convergence tactique et plus largement intellectuelle, qui s’est établie vers la fin des années 1980 entre les luttes de certaines composantes de l’extrême-gauche, notamment française, et celles des acteurs d’un segment au moins du large spectre de l’islam politique.
A l’extérieur du champ académique, qui s’est lui-même attaché très vite à en rendre compte, c’est donc depuis l’extrême-gauche qu’ont été lancées les premières passerelles en direction des oppositions usant du lexique islamique et que s’est explicitée la reconnaissance de leur légitimité à porter des demandes, sociales ou politiques banalement profanes et universelles.
Alors que malgré les prémices iraniennes saluées par Michel Foucault, la gauche socialiste et communiste notamment tout au long de la “décennie noire” algérienne - s’enfermait dans une posture d’exclusion définitive des acteurs maniant un tel lexique religieux, une forme de reconnaissance, vite devenue réciproque, s’est opérée entre des formations d’extrême-gauche, la ligue trotskiste notamment, et des courants islamistes maghrébins tel Ennahdha alors en pleine phase d’affirmation.
Car si elle est née au cœur du chiisme de la révolution iranienne, cette reconnaissance d’une possible “convergence des luttes” ne s’est en fait jamais démentie parmi les activistes des scènes partisanes sunnites du Maghreb ou du monde arabe entre des opposants en butte à la répression d’identiques autocratismes.
Dans de multiples segments du tissu politique du Maghreb ou du Proche-Orient, ce rapprochement a connu très vite diverses traductions pratiques. En 1995, le Pacte de San Egidio réussit ainsi à fédérer les oppositions algériennes de tous bords, de Louisa Hanoun la trotskiste jusqu’au représentant du FIS.