Comment analysez-vous la politique de Macron au Moyen-Orient notamment au Liban, en Libye au regard des évènements de ces dernières semaines ?
En théorie, l’irruption du président Macron au Liban a bel et bien l’apparence d’une ingérence étrangère caractérisée. Toutefois, la lecture réaliste de la configuration régionale oblige à poser une appréciation plus nuancée.
Les ingérences étrangères font en effet à ce jour partie intégrante de la réalité politique libanaise. Elles ont été d’abord le fait des Français bien sûr, avec leur rôle fondateur dans la création du pays en 1920 pour, alors, y faire prévaloir la représentation politique des Chrétiens.
Mais ensuite elles ont été le fait des Syriens, des Saoudiens et des Iraniens sans oublier bien sûr les Israéliens. Ils ont tous, au cours des décennies écoulées, détourné des parts entières de la souveraineté de ce pays, y compris par une présence militaire directe.
Tous y ont de surcroît instrumentalisé, et donc aggravé, ces divisions confessionnelles qui sont aujourd’hui au cœur de la paralysie dramatique de l’Etat libanais. La France de Macron ne fait donc ni plus ni moins que ce que font d’autres acteurs régionaux et pour elle, ne pas intervenir équivaut moins à respecter la souveraineté libanaise qu’à laisser d’autres acteurs régionaux la piétiner.
A partir de 2012, certains ont justifié ainsi le refus de la France d’aider sérieusement (aux côtés de la Turquie) l’opposition syrienne à Bachar Al-Assad par ce principe de “non-ingérence” qui aboutissait alors à laisser le champ libre à d’autres interventions - autrement plus décisives - de l’Iran puis de la Russie.
Aujourd’hui, la question de la légitimité de l’intervention française au Liban se pose donc moins, de mon point de vue, en termes de principe qu’au regard de ce que nous connaissons de l’agenda régional et global de Macron au Proche-Orient. C’est là que commence le problème.
Quel est le but réel de Macron selon vous ? La France contribue-t-elle vraiment à l’instauration de la paix dans ces pays ?
Macron a effectivement prôné à Beyrouth la réforme de ce système confessionnel que ses prédécesseurs ont contribué à créer puis à entretenir et dont ils ont profité tout au long des décennies écoulées. Ce système, la France n’a en réalité rien eu à lui reprocher tant qu’il s’exerçait au bénéfice de la composante chrétienne de la population qui lui était à étroitement associée.
Paris s’est ensuite accommodé du lent transfert de pouvoir qui s’est opéré au profit de la communauté sunnite. La France a alors accepté de partager le leadership avec son allié saoudien, qui s’est investi massivement à ses côtés, à travers la famille Hariri notamment.
Pour Paris (et Riad) les inconvénients du système ont commencé à prendre le dessus dès lors que c’est vers la communauté chiite et son sponsor iranien que s’est irrésistiblement déplacé le rapport de force. On sait la brutalité avec laquelle le prince héritier MBS a tenté de reprendre la main en exerçant des pressions très physiques sur le premier ministre Hariri et comment, dans ce contexte, Macron a pris le parti, en se rendant à Riad, de freiner les ardeurs de son jeune partenaire saoudien.
Ce que la France réclame donc aujourd’hui demeure bien la fin du système confessionnel qu’elle a créé mais seulement parce qu’il lui a désormais échappé. Cette ambition réformiste et la condamnation de la classe politique qui a été l’instrument et le bénéficiaire de la partition confessionnelle font néanmoins aujourd’hui consensus.
Là encore, il n’est donc pas opportun de se démarquer de ceux - dont Macron - qui demandent sa transformation. L’essentiel est en fait ailleurs : il est de savoir au service de quel ordre local et régional cet agenda réformiste français - qui ne pose pas de problème en tant que tel - est actuellement mobilisé.
Pour répondre à cette question, il faut rappeler ce que l’on sait de cet agenda “proche-oriental” du président Macron. Au cours des trois années écoulées, il en a montré suffisamment de facettes pour que l’on puisse - sans préjuger bien sûr de sa capacité éventuelle à corriger ses erreurs - exprimer légitimement quelques réserves.
En incluant le Hezbollah au processus de discussion, malgré les protestations des milieux pro-israéliens, Macron a indiscutablement fait un pas dans la bonne direction. Reste que tout ce que, au-delà de ce premier signal, l’on sait de son “logiciel proche-oriental” est très étroitement calqué sur cet axe émirato-saoudo-israélien auquel il est lui-même étroitement associé. Et que cet axe, où, avec la reconnaissance officielle des Emirats, la participation israélienne vient de s’expliciter spectaculairement, est celui qui s’identifie à la formidable machine de la contre-révolution arabe.
Tout comme celui de Tel Aviv et malgré les quelques nuances opposées à Donald Trump dans l’épisode de l’accord sur le nucléaire, l’agenda de Macron est donc d’abord, sur le fond, viscéralement opposé à l’Iran. Il est donc de ce fait en tension de principe avec la composante politique quasi majoritaire de l’arène libanaise.
Mais bien plus gravement à mes yeux, il est avant tout associé de facto à la lutte émiratie et égyptienne contre toute dynamique d’ouverture démocratique dans la région. C’est en effet dans cette ligne que l’enferme son adhésion au credo pernicieux, prôné et mis en oeuvre par les Emiratis et les Saoudiens à coup de millions de dollars, de la lutte acharnée “contre l’Islam politique”...c’est à dire, dans la réalité, contre les acteurs les plus incontournables de tout dépassement de l’autoritarisme dans la région.
C’est en partie au moins pour cette raison que l’agenda de Macron englobe également une hostilité de principe à l’égard des pays - dont le Qatar et plus encore la Turquie - qui ne combattent pas assez radicalement à leurs yeux les forces politiques qui sont pourtant sorties en tête (en Egypte et en Tunisie notamment, mais pas seulement) des urnes libres du “printemps arabe”.
Les tensions en Méditerranée Orientales sont vives. La France s'y précipite pour apporter son aide à la Grèce. Que veut elle faire dans cette région ?
La crise récente sur la redéfinition des Zones économiques exclusives en Méditerranée, consécutive à l’accord entre Tripoli et Ankara, a confirmé ce penchant français de s’opposer, sous de multiples prétextes, au retour de la Turquie dans la cour des grandes puissances régionales. Comme l’a montré (depuis le président Valéry Giscard d’Estaing) le rejet constant de Paris à l’adhésion à l’UE, ce dossier a malheureusement des racines historiques beaucoup plus profondes et plus anciennes que la crise libanaise.
Sachant que la Turquie détient la plus longue façade maritime de tous les pays bordant la Méditerranée, la lecture des cartes établissant la superficie de sa ZEE par rapport à celle de la Grèce montre avec une éclatante évidence la nécessité qu’il y a à renégocier ce pan du droit international auquel la Turquie a fort logiquement refusé d’adhérer.