« Une des raisons pour les quelles la main invisible est invisible, c’est peut-être qu’elle n’existe pas. » (« Quand le capitalisme perd la tête », 2003)
1/ Biographie
Joseph Stiglitz est un économiste américain, issu d’une famille juive à la forte sensibilité démocrate. Il étudie l’économie au Massachusetts Institue of technologie de Boston (MIT), sous la direction de Paul Samuelson (prix Nobel d’économie en 1970), Robert Solow (prix Nobel d’économie en 1987) et Franco Modigliani (prix Nobel d’économie en 1985). En 1967, il décroche son titre de docteur ; Il obtient aussi une bourse Fulbright de recherche à Cambridge où il a collaboré avec une disciple de Keynes, Joan Robinson (1903 – 1983).
A 27 ans il est nommé professeur au MIT. Il officie ensuite à Yale, Stanford et Princeton. Entre 1995 et 1997, il devient conseiller de Bill Clinton, président des Etats-Unis. Il part ensuite, pour trois ans (1997 – 2000), pour prendre la tête de la Banque Mondiale en tant que vice-président et économiste en chef. En 2001, il reçoit le prix Nobel pour ses travaux sur « l’asymétrie d’information ».
2/ Place de J. Stiglitz dans l’histoire de la pensée économique
Ses cinq années passées aux plus hauts sommets du pouvoir l’ont fait découvrir un nouvel ordre de réalité. Suite à une telle expérience, il était devenu très critique à l’égard du FMI et au trésor américain qu’il accuse de protéger en premier lieu les intérêts des financiers et non ceux des pays en crise.
En 2002, il redevient simple professeur à l’université Columbia. Et il entreprend la publication d’une série de livres où il dénonce les excès de la mondialisation et les dérives de l’économie de marché : « La grande désillusion » (2002), « Un autre monde : Contre le fanatisme du marché » (2006), « le triomphe de la cupidité » (2010).
Il suggère de mieux « encadrer et piloter la mondialisation pour la rendre plus démocratique. » Il s’en prend tout particulièrement aux banquiers, aux Etats-Unis et aux institutions internationales, qui prônent la déréglementation commerciale et financière, les privatisations… et affirme que « le laisser-faire ne produit rien de bon ».
3/ Rationnement sur les marchés et asymétrie de l’information
Les travaux de Stiglitz portent sur les asymétries d’information qui peuvent perturber un secteur et tirer l’économie vers le bas. Il considère en effet que les marchés ne sont pas nécessairement en situation d’équilibre car l’offre n’est pas égale à la demande. D’où vient ce rationnement ?
Les agents économiques sont rationnels mais ne disposent que d’une information imparfaite.
* Exemple des voitures d’occasion : Les vendeurs de voiture d’occasion sont toujours avantagés par rapport aux acheteurs, qui ignorent l’état réel des véhicules. Ceci à une double influence :
- Sur les prix, car les clients sont méfiants et ils proposent en conséquence des prix bas
- Et sur la nature du marché, car ceux qui disposent de voitures valables refusent de s’en séparer à bas prix.
Au final, les mauvaises occasions chassent les bonnes et personne n’y gagne.
* Exemple des crédits bancaires : Les banques ne connaissent pas avec certitude le degré de solvabilité de leur client. Si elles se mettent à anticiper une hausse du risque de faillite de leurs emprunteurs, elles vont logiquement chercher à limiter leur offre de crédit en augmentant leur taux d’intérêt. Une telle action a deux incidences :
- Les firmes ayant des projets les plus solides vont se détourner du financement bancaire, qui devient trop cher,
- Et les moins bons emprunteurs restent seuls sur le marché (phénomène de sélection adverse).
In fine, la hausse des taux provoque une hausse du nombre de faillites, ce qui accentue le rationnement du crédit par les banques (crédit Crunch).
* Exemple du marché du travail : l’employeur ignore la productivité et l’implication des salariés qu’il embauche. Pour réduire ce risque, il peut choisir des surdiplômés (sans garantie qu’ils soient motivés) ou payer nettement plus que la moyenne du secteur (ce qu’on appelle « un salaire d’efficience »), pour s’assurer la fidélité de ses collaborateurs. Cependant, si tous les employeurs procèdent de la même manière, ils seraient moins enclins d’embaucher car le travail devient plus coûteux.
Résultat : le chômage augmente sans que les salaires d’efficience ne baissent. D’ailleurs, même s’ils baisseraient, les prix des biens et services suivraient la même pente, ce qui empêcherait les firmes d’embaucher davantage.
4/ Critiques des instances internationales et du « consensus de Washington »
En 2000, Stiglitz quitte le poste d’économiste en chef de la Banque mondiale en critiquant sévèrement les réformes économiques que cette institution et le FMI exigent aux pays en contrepartie d’emprunts.
Il existe d’après lui un « consensus de Washington » qui s’appuie sur la libéralisation des marchés intérieurs, l’ouverture des frontières pour les capitaux, le désengagement de l’Etat et la déréglementation de certains secteurs et branche d’activité. Ce consensus est responsable, selon lui, de l’appauvrissement de plusieurs pays, tout particulièrement en Amérique du Sud et en Afrique.
S’inscrivant dans une tradition keynésienne de l’Etat régulateur de l’économie ; il conteste donc l’idée selon laquelle le marché est par nature le meilleur outil pour allouer les ressources de l’économie. Il considère que le marché est inefficace ; l’Etat est le seul capable de pallier les « défaillances du marché ».