“Le gouvernement tunisien s'emploiera à mettre en place un programme de réformes économiques précis, conforme à sa vision et à ses priorités et à la mesure de ses capacités financières actuelles.” a déclaré en substance monsieur Hicham Mechichi, chef du Gouvernement tunisien, suite à sa réunion, en vidéoconférence le vendredi 8 janvier 2021, avec les représentants du FMI qui commencent à s’inquiéter à propos de la capacité de la Tunisie à honorer ses engagements. Lors de cette énième rencontre avec les responsables de cette vieille institution de 75 ans, monsieur Mechichi a été assisté, tout naturellement, par monsieur Ali Al-Kali, Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Investissement, et monsieur Abdessalem Abbassi, universitaire et conseiller économique.
1/ Une déclaration laconique qui s’explique certes par des contraintes macroéconomiques et politiques internes, mais aussi par les pressions lobbyistes :
1.1 / Des contraintes internes…
A l’évidence le chef du Gouvernement a hérité d’une situation macroéconomique désastreuse où tous les fondamentaux sont en bernes. Un marasme socio-économique dû essentiellement à la sinistre période de Youcef Chahed, l’ex-chef du Gouvernement. Cette période s’est caractérisée en effet par l’inertie politique et surtout la généralisation de la corruption.
Comme si cela ne suffisait pas, une crise sanitaire vient frapper à nouveau de plein fouet le pays ; aujourd’hui nous frôlons la catastrophe humanitaire. Seul le Gouvernement Elyes Fakhfakh en assume entièrement la responsabilité. Il ne fallait surtout pas rouvrir les frontières sans s’y préparer énergiquement et fermement. Le tout couronné par des tiraillements politiques qui entravent réellement le cheminement démocratique auquel aspire les Tunisiens.
1.2 / …aux pressions lobbyistes
Monsieur Hicham Mechichi est l’objet d’une terrible pression des lobbyistes réactionnaires qui entravent toute réforme qui mettrait leurs avantages en question :
Des boulangers et pâtissiers, qui refusent la réforme de la caisse de compensation, aux médecins et avocats, qui bloquent la suppression du régime fiscale forfaitaire; des banques, qui préfèrent déjouer la libre concurrence en tissant des ententes illégales, aux firmes transnationales et des professionnels du tourisme, qui poussent vers la dépréciation du dinar; des partis politiques, sans projet économique réel, aux syndicats, plus préoccupés de la valorisation des salaires indépendamment des gains de productivité. La liste des lobbyistes hélas est longue, à ne plus en finir ! Autant dire que ces groupes de pressions forment un gouvernement de l’ombre depuis très longtemps ; ils se sont enracinés dans le fonctionnement de la République ; ils tirent les ficelles comme bon leur semble!
1.3 / A force de jouer à l’équilibriste, on finit trapéziste.
C’est pour cette raison que la déclaration du chef du Gouvernement a voulu être concise, laconique, à forte contenance politique, pour ne pas dire assez vague et volontairement imprécise. Monsieur Mechichi cherche à satisfaire tout le monde au risque de se fâcher avec tous ; alors, il aurait fallu jouer pleinement son rôle et assumer entièrement la tâche qui lui incombe : Gouverner et réformer le pays. C’est urgentissime ! Comme disait l’Adage oriental “Il faut que chacun joue le rôle auquel il a été destiné : le soleil se contente d'éclairer le jour, et laisse la lune briller dans la nuit.”
2/ Que demandent le FMI et la banque mondiale ?
Le logiciel des responsables du FMI et de la banque mondiale est bien rodé depuis plus de 4 décennies ; ils ont toujours en somme formulé les mêmes demandes. Leurs exigences s’articulent autour de deux grands axes :
• Arrêter le recours récurrent à l’endettement ;
• Renouer au plus tôt avec l’établissement des budgets équilibrés.
Les pistes suggérées par les experts du FMI sont aussi toujours les mêmes :
• La lutte ferme contre la corruption et l'économie informelle pour améliorer significativement les recettes fiscales ;
• L’adoption d’une politique de rigueur budgétaire en vue de limiter sérieusement les dépenses publiques. Cette austérité au niveau des dépenses de l’Etat passe nécessairement, d’après les responsables du FMI et la Banque Mondiale, par :
• La réduction des effectifs de la fonction publique,
• La suppression, à défaut une meilleure rationalisation des dépenses de la caisse de compensation.
Avons-nous seulement le choix ?
Force est de constater que la réponse est négative. Tout réside à présent dans la manière dont ces réformes structurelles vont être conduites, mises en place. Les Tunisiens consentiraient encore des efforts si et seulement si les sacrifices demandés sont équitablement répartis.
L’équité, la justice sociale et l’égalité du traitement doivent être le maître mot. Aussi, tout doit être fait dans la plus grande transparence. Le discours politique doit être à la hauteur. Le déficit en communication doit être rectifié, comblé. Et les récalcitrants, les réfractaires, doivent assumer leurs responsabilités devant la nation.
3/ Quelles réformes structurelles ?
Au risque de me répéter pour la énième fois, les réformes à entreprendre en toute urgence sont :
1/ La lutte contre l’économie informelle doit être un préalable. Plus de 12,4 milliards de dinars de recettes fiscales et de cotisations sociales partent chaque année en fumée sous le regard impuissant de l’Etat.
2/ Mettre en application la nouvelle loi fiscale qui a abrogé les régimes forfaitaires des activités libérales (médecins, avocats, notaires). Chaque année 450 millions de dinars passent ainsi sous le nez de l’administration fiscale. C’est un scandale d’Etat.
3/ Un moratoire de 3 à 5 ans sur le paiement des dettes et leurs intérêts pour le s réallouer aux profits des investissements productifs. La création d’emploi est une question de société avant qu’elle soit économique. L’emploi est le garant de la stabilité politique et économique. Notre appareil productif est vétuste, ses équipements doivent être renouvelés en toute urgence pour regagner en productivité du capital.
4/ Entreprendre les démarches pour contester les dettes illégitimes contractées sous l’ancien régime. Il y a plus de 11 milliards de $. (Voir nos contributions à ce sujet)
5/ Imposer une écotaxe aux touristes en devises internationales ; à défaut, l’imposer aux hôtels qui seraient contraints de l’intégrer dans leurs prix d’offres.
6/ Stopper les recrutements dans la fonction publique. Les départs à la retraite ne doivent en aucun cas être remplacés. Ce qui implique une modernisation de notre administration.
7/ Abroger le nouveau statut de la Banque centrale. (Voir nos analyses et nos études à ce propos)
8/ Suppression de la caisse de compensation pour la remplacer par une allocation sociale pour les plus démunis. Il faut établir donc un fichier national des personnes pauvres.
9/ Améliorer la productivité dans le publique comme dans le privé est la condition sine qua none pour contrebalancer les dernières hausses des salaires.
10 / Réformer les banques tunisiennes qui spolient ouvertement les citoyens et entravent l’investissement.
Ce qu’il faut retenir :
Il est urgent donc de mettre en place une feuille de route capable de répondre aux demandes les plus pressantes mais aussi de concevoir et de mettre en place les réformes et les orientations futures indiquées ci-dessus, pour au moins les cinq ans à venir, afin de redonner confiance aux ménages et aux investisseurs Tunisiens mais aussi étrangers, indépendamment des lobbies et des tiraillement politiques. D’où la nécessité de créer un “Haut-Commissariat au plan” qui existait jadis.
En outre, il va falloir soutenir la demande tout en stimulant l’offre. Autrement-dit, il faut adopter une politique budgétaire contrôlée : Les dépenses excessives engendrent en effet l’endettement et les coupes austères compromettent à coup sûr la reprise. Aussi, la dette publique tunisienne représente aujourd’hui plus de 90% de son PIB : la question de sa « soutenabilité » se pose avec insistance. Envisager encore l’endettement comme seul moyen de financement est franchement irresponsable. Il faut, sans tarder, améliorer la structure des recettes fiscales et des dépenses.
De plus, la confiance dans l’avenir est la clé de voûte de toute nouvelle impulsion, dynamique, économique. Il n’y pas de croissance sans sécurité.
Enfin, les réformes douloureuses s’accompagnent toujours avec beaucoup de concertations et de dialogues. Toutefois, ces réformes ont été déjà débattues pour l’essentiel, il est temps donc de passer à l’action, mais avec davantage de transparence. Plus de temps à perdre ! Le gouvernement doit mettre l’accent sur sa politique de communication pour mieux associer ses concitoyens à cet effort collectif.
Les décisions doivent avoir comme axiomatique, finalité : “une meilleure justice sociale”. A titre d’exemple : la suppression de la Caisse de compensation doit être substituée par une allocation de préservation du pouvoir d’achat. Une allocation soumise à la condition sine qua none de la scolarisation des enfants jusqu’à l’âge de 16 ans. Aucune allocation, aucune d’aide, ne serait versée en cas d’abandon scolaire.
Ainsi, le pouvoir d’achat des plus modestes est relativement préservé et la lutte contre le décrochage scolaire est concrètement à l’œuvre. Car c’est les enfants de cette catégorie de la population qui sont les plus victimes de fléau. C’est aussi ça la “Justice sociale” !