Les derniers développements de la crise du Moyen-Orient ont montré un changement notable dans le traitement médiatique du conflit israélo-palestinien, ce qui a irrité de nombreuses associations pro-israéliennes, accusant la presse d'organiser des «pogroms médiatiques contre les juifs subissant depuis 2 000 ans l'injustice». Ce discours culpabilisant, qui a fait recette par le passé et à l'ombre duquel Israël a été créé, a perdu aujourd'hui de son efficacité, non en raison du changement d'attitude des médias mais plutôt en raison de l'évolution de la situation sur le terrain et de l'image que se fait désormais l'opinion des protagonistes du conflit, comme l'atteste le sondage récemment publié par Libération (le 16 octobre).
Tant que le conflit opposait militairement les armées arabes à Israël, l'opinion européenne était favorable à ce dernier, du fait qu'il apparaissait comme le petit David menacé par le géant Goliath. Mais, dès lors qu'Israël a été reconnu par ses voisins, à l'exception de la Syrie qui attend de récupérer le Golan pour le faire, le conflit apparaît sous un angle différent, dans lequel le petit David est palestinien, incarné par le jeune Mohamed assassiné en direct à la télévision par le géant Goliath, Israélien habillé en militaire et équipé d'engins de mort. Finalement, Sadate a rendu un mauvais service à Israël en le reconnaissant il y a vingt ans, car, à travers ce geste, il a réduit le conflit israélo-arabe à sa nature d'occupation coloniale de la Cisjordanie, où vivent des millions de Palestiniens aspirant à un Etat.
L'Intifada est perçue par les opinions en Europe comme une révolte populaire, même si ses excès sont condamnés, alors qu'en Israël elle est assimilée, surtout par la droite, comme une entreprise de destruction de l'Etat d'Israël par des extrémistes antijuifs. Il y a tout lieu de croire que, si une solution n'est pas trouvée à la question palestinienne, le fossé entre les opinions en Europe et les organisations pro-israéliennes s'approfondira.
Pour n'avoir pas compris qu'il s'oppose à une revendication nationale, Israël a perdu la bataille de l'opinion publique et de l'image, sans laquelle aucune guerre ne peut être gagnée, surtout que, la société internationale étant organisée en Etats, il est largement convenu que chaque peuple a droit à un Etat, et Israël apparaît comme contrevenant à ce principe. C'est ce qui explique ce changement des médias et de l'opinion, à qui les organisations pro-israéliennes font le chantage de l'antisémitisme, les culpabilisant de favoriser les démons antijuifs.
L'opinion semble déçue que les accords d'Oslo n'aient pas abouti à la paix et rejette la responsabilité sur Israël, qui, bien que reconnu par les Palestiniens, refuse de les reconnaître à son tour comme Etat national souverain.
La disponibilité des uns ne semble pas avoir été récompensée, d'où l'explosion populaire de la rue, qui espère arracher la souveraineté nationale par la violence. Avec le temps, il apparaît clairement que les accords d'Oslo n'avaient pas d'avenir, faute d'un consensus sur leur objectif final entre les deux protagonistes. Pour les Palestiniens, la finalité d'Oslo était la proclamation d'un Etat souverain reconnu sur le plan international; pour les Israéliens, elle consistait à les mettre sous protectorat.
Mais, alors que les Palestiniens ont rempli leur engagement, les Israéliens n'ont pas rempli le leur, traînant les pieds et multipliant les colonies dans les territoires occupés, faisant signer à l'OLP de Yasser Arafat des accords irréalistes qui ne résisteront pas au temps, à savoir une semi-autonomie à l'intérieur de laquelle il y a des enclaves sous autorité de l'armée israélienne. Que serait-il arrivé si les accords d'Evian, qui ont consacré l'indépendance de l'Algérie, avaient prévu des enclaves où vivraient des Européens protégés par l'armée française? Cela n'aurait pas été viable, ni en Algérie ni nulle part ailleurs. Les colonies de peuplement juif n'ont aucun avenir dans un futur Etat palestinien, compte tenu des rancœurs et des haines accumulées, et du gouffre qui sépare les deux populations.
Les dirigeants israéliens ont laissé passer une chance historique d'établir une paix véritable avec les Palestiniens en instrumentalisant Oslo, dont l'objectif à leurs yeux était d'accorder une semi-autonomie sur des territoires populeux que la première Intifada rendait encombrants. Il s'agissait alors de concéder à l'Autorité palestinienne la gestion administrative d'une population de plus en plus attirée par le discours islamiste, tout en implantant des colonies juives jouissant de l'exterritorialité et d'un niveau de vie largement supérieur à celui des quartiers voisins.
Dans cette perspective, les Israéliens attendaient de l'OLP qu'elle se transforme en auxiliaire de leur armée impuissante à venir à bout des commandos-suicide du Hamas. Ce qui est méconnaître la profondeur des sentiments nationalistes palestiniens, qui estiment avoir été trompés et avoir conclu un marché de dupes. Demander à l'Autorité palestinienne d'arrêter les extrémistes tout en maintenant une situation politique favorisant les extrémistes est pour le moins infantile.
Le retour de la paix dans cette région meurtrie ne dépend désormais que d'Israël, qui doit consentir à reconnaître le droit des Palestiniens à un Etat souverain. Dépendant de son image à l'extérieur plus que tout autre Etat, Israël finira par céder devant la révolte populaire des territoires occupés revendiquant des droits nationaux. Mais, bien qu'inéluctable, l'avènement de l'Etat palestinien sera freiné par deux facteurs: le puissant lobby financier et médiatique américain pro-israélien, haineux envers les Arabes et en décalage avec la réalité sur le terrain, et la mentalité coloniale en Israël, plus forte encore dans les couches défavorisées, rappelant singulièrement les attitudes du peuple pied-noir durant la guerre d'Algérie.
Ne serait-il pas raisonnable qu'Israël reconnaisse dans les délais les plus brefs l'Etat palestinien, pour éviter des morts inutiles de part et d'autre? Si l'histoire se faisait sans passions et avec raison, la solution aurait été un Etat unitaire où musulmans, juifs et chrétiens seraient des citoyens égaux d'un régime démocratique respectueux des uns et des autres. Cette solution à la sud-africaine supposerait au préalable un embargo international sur Israël, que la diaspora juive, notamment celle aux Etats-Unis ¬ qui porte une responsabilité sur le blocage de la situation ¬, ferait échouer. Il faut alors abandonner la meilleure solution et espérer la réalisation de la moins mauvaise, c'est-à-dire deux Etats séparés qui apprendront à coexister de part et d'autre d'une frontière qui les unira un jour, au lieu de les séparer.