C’est ce que disent, dans deux textes presque similaires, écrits à 65 ans d’intervalle, deux femmes engagées contre la domination coloniale : Simone de Beauvoir, hier pour le FLN, et Judith Butler aujourd’hui pour le Hamas.
« Nous refusions de nous indigner contre les méthodes de lutte du FLN. “On ne fait pas la guerre avec des enfants de chœur”, répétait-on du côté des paras [parachutistes, et autres militaires français]. Cependant, on criait à l’assassinat quand en France les militants algériens liquidaient des traîtres. Alors que le Français en égorgeant, violant, torturant, prouvait sa virilité, le terroriste algérien manifestait l’ancestrale “barbarie islamique”.
En vérité, l’ALN n’avait pas le choix : elle se battait avec les moyens du bord. Pourtant, parmi ceux mêmes qui reconnaissaient la validité de ses objectifs, nous n’étions qu’une poignée à récuser la symétrie : terrorisme-répression. Par précaution, mais aussi avec une vertueuse sincérité, quand ils dénonçaient les tortures et les ratissages, la plupart commençaient par déclarer : “Bien entendu, nous savons que de l’autre côté il y a de terribles excès”. Quels excès ?
Le mot ne convenait à aucun des deux camps. Jamais Camus ne prononça de phrases plus creuses que lorsqu’il demanda : pitié pour les civils. Il s’agissait d’un conflit entre deux communautés civiles ; les ennemis des colonisés, c’était d’abord les colons, accessoirement l’armée les défendait : celle-ci ne pouvait vaincre qu’en anéantissant les populations en qui résidait la force de l’ALN ; c’est cette nécessité même qui loin de justifier son action la condamnait.
Le massacre d’un peuple misérable par une nation riche (fût-il exécuté sans haine, comme l’affirme un jeune parachutiste), soulève le cœur. Nos convictions relevaient du bon sens ; pourtant elles nous coupaient de l’ensemble du pays et elles nous isolaient au sein de la gauche même ».
Simone de Beauvoir, La force des choses II, Paris, Gallimard, 1963, p. 89 et 90.
« Je pense que nous pouvons avoir des points de vue différents sur le Hamas en tant que parti politique. Nous pouvons avoir des points de vue différents sur la résistance armée. Mais je pense qu’il est plus honnête et correct historiquement de dire que le soulèvement du 7 octobre était un acte de résistance armée. Il ne s’agit pas d’une attaque terroriste ni d’une attaque antisémite.
Il s’agissait d’une attaque contre des Israélien·ne·s. Et vous savez, je n’ai pas aimé cette attaque. Je l’ai dit publiquement. J’ai eu des ennuis pour avoir dit que c’était, pour moi, angoissant. C’était angoissant, c’était terrible. Cependant, je ne serais pas raisonnable si je décidais suite à cela que la seule violence de cette scène était la violence faite aux Israélien·ne·s.
Les Palestinien·ne·s subissent des violences depuis des décennies. C’était un soulèvement, qui est le produit d’un état de soumission, et qui se développe contre un appareil d’État violent. D’accord ? Parlons clairement. Vous pouvez être pour ou contre la résistance armée, vous pouvez être pour ou contre le Hamas, mais appelons-la au moins résistance armée, et nous pourrons alors débattre de la question de savoir si nous pensons que c’est juste, s’ils ont fait ce qu’il fallait, ou si une stratégie différente…
Mais le problème, c’est que si vous parlez de résistance armée, on pense immédiatement que vous êtes en faveur de la résistance armée, de cette résistance armée, et de cette tactique-là. En fait, peut-être pas cette tactique. Et nous pouvons discuter de la résistance armée, vous savez ? C’est un débat ouvert.
Mais je pense que la description est correcte. Si nous décidons qu’il s’agissait uniquement ou principalement d’antisémitisme…. Encore une fois, nous sommes confronté·e·s à la structure politique et à la structure de la violence dont ce soulèvement est issu. Je vais m’attirer des ennuis pour avoir dit ça, mais vous me défendrez… ».
Judith Butler