Il faut d’abord rétablir les faits : autant qu’il est possible d’en juger par les articles de presse qui ont rendu compte de son odyssée tunisienne, Amira Bouraoui n’était pas menacée par une extradition mais par une expulsion vers l’Algérie.
L’extradition est une mesure judiciaire, prévue par des accords bilatéraux, qu’un État requiert auprès d’un autre afin qu’une personne poursuivie ou condamnée par ses autorités judiciaires puisse lui être renvoyée afin de se soumettre aux poursuites ou à la peine prononcée.
L’expulsion est une mesure qu’un État peut prendre contre une personne de nationalité étrangère qui se trouve sur son territoire de façon irrégulière.
Tout indique qu’Amira Bouraoui avait été interpellée à Tunis vendredi 3 février puis entendu par le tribunal cantonal de Tunis le lundi suivant pour avoir franchi illégalement la frontière algéro-tunisienne et pour rien d’autre.
Formellement, l’affaire relevait donc exclusivement du droit interne tunisien et c’est en application de la loi de son pays que le juge décidait de la remettre en liberté en attendant l’examen du dossier renvoyé au 23 février.
C’est le dérapage des autorités de police tunisiennes lorsqu’elles ont décidé d’interpeller Bouraoui à sa sortie de l’enceinte judiciaire qui a donné une autre tournure à l’affaire, à ceci près que ce dérapage demeurait une affaire intérieure tunisienne puisque les services de police entendaient court-circuiter la procédure et préparaient une expulsion illégale vers l’Algérie.
L’entrée en jeu de la France au nom de la protection de l’une de ses ressortissantes n’aurait pas empêché la Tunisie de sauver l’honneur si elle avait choisi la voie du respect de sa propre légalité en obligeant ses services de police à se soumettre à la décision du juge. Au lieu de quoi, elle a cédé aux pressions françaises et désavoué toutes ses institutions : policières et judiciaires.
A partir de là, les autorités tunisiennes ont accepté que l’affaire soit négociée en coulisses, avec des protagonistes et à travers des péripéties dont on ne sait rien, et donne lieu à un marchandage politico-diplomatique au cours duquel le jeu des influences a fait prédominer la position française.
Dans cette affaire, trois parties arrivent exæquo en tête du classement des perdants :
- La Tunisie, sans aucun doute qui, en désavouant ses institutions judiciaires, s’est mise à la merci des assauts de la diplomatie française.
- L’Algérie qui aurait pu se prémunir d’une déconfiture en laissant le soin à son voisin de l’est de traiter légalement l’affaire sans lui faire subir de pressions.
- Mais aussi Amira Bouraoui qui a renoncé à l’image d’opposante algérienne qu’elle s’était attachée à se forger depuis de longues années, pour devenir à tout jamais l’ « activiste franco-algérienne » qui a accepté un rapatriement en France dans les bagages des services de sécurité français. Car ce qui peut se comprendre humainement ne peut être soustrait à un jugement politique.
Quant à la France, elle ne tire son épingle du jeu qu’aux yeux des idiots utiles qui, au sein de l’ « opposition » algérienne, cultivent sa réputation de tuteur universel des droits de l’homme. Pour tous ceux qui savent qu’elle ne met ses coups tordus qu’au service d’un cynisme sélectif, il n’y a rien de nouveau sous le soleil.