En autorisant l’ouverture samedi dernier d’une représentation à Alger de la « République rifaine », l’Algérie vient de mettre à mort sa politique étrangère après l’avoir soumise à une lente agonie. Elle vient d’entériner la fin d’une politique fondée depuis l’indépendance sur le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres États pour la remplacer par une politique des coups-tordus qu’elle réservait jusque-là à un usage interne.
Cela se fait d’abord au détriment d’une des causes anticoloniales les plus emblématiques du Maghreb, en l’occurrence le combat mené dans les années 1920 par Abdelkrim El Khattabi qui est revendiqué ici par ce « Parti national rifain » sans que la légitimité de l’héritage soit prouvée.
L’histoire du mouvement national marocain a certes ses complexités qui n’ont rien à envier à celles de son homologue algérien. Mais il appartient aux Marocains de les assumer et de les mettre à jour.
L’émergence d’un sentiment d’appartenance nationale s’identifiant au trône fut tardive. Il ne s’est affirmé que dans les années 1950 sous le protectorat français, alors que le sultanat avait encore des traits patrimoniaux. De sorte que le combat contre les colonialismes français et espagnol a été longtemps l’apanage des tribus du bled siba (réfractaires au sultan) dont l’émir Abdelkrim El Khattabi fut le héros emblématique.
La résistance qu’il a menée dans le Rif a fini écrasée en 1926 sous les bombes et les armes chimiques de Franco et de Pétain, avec l’assentiment et l’appui du sultan, au prix du massacre de dizaines de milliers de civils. Le 26 juillet 1926, sous l’Arc de Triomphe à Paris, Moulay Youssef, entouré d’Édouard Herriot, de Pétain et du dictateur espagnol Primo de Rivera, fêtait cette « victoire » comme la sienne.
Il y eut ensuite plusieurs épisodes de répression des populations rifaines dont le plus terrible fut menée à la fin des années 1950 sur ordre de l’héritier au trône, le futur Hassan 2. La répression devait se renouveler en 1984 puis en 2019 avec une moindre intensité. Mais la question rifaine demeure une affaire intérieure au royaume à laquelle l’Algérie n’a le droit de se mêler à aucun titre. Le plus élémentaire respect au peuple marocain, sinon à son régime, le commande.
Cette mascarade de l’ouverture d’une représentation du « peuple rifain » à Alger se fait ensuite et surtout au détriment de la cause sahraouie, dont la légitimité est en revanche incontestable mais que l’Algérie soumet bien malheureusement désormais à tous les amalgames. En se pliant au jeu des manipulations du palais marocain, le gouvernement algérien vient en effet de ruiner la crédibilité de son soutien au mouvement de libération sahraoui.
Celui-ci est porteur d’une question de décolonisation que la communauté internationale s’avère incapable de résoudre depuis 50 ans. Le choix clair fait par les Sahraouis en faveur de l’indépendance avait été exprimé sans équivoque lors du déplacement au Sahara occidental de la mission de l’ONU en mai-juin 1975 : « Les membres de la mission découvrent l’audience réelle du Front Polisario et la volonté d’indépendance de la population ».
Mais le 6 novembre 1975, quelques jours après le dépôt du rapport de la commission, le roi du Maroc lançait la marche verte suivie dès le 27 novembre par une attaque de l’infanterie et de l’aviation dont les bombardements au napalm et au phosphore blanc semaient la mort et forçaient des dizaines de milliers de Sahraouis à l’exode.
Il faudra donc prendre soin d’établir une séparation nette entre la guéguerre des sécessionnismes que les régimes algérien et marocain se livrent avec une égale inconséquence par mouvements fantoches interposés, et la cause sahraouie dont l’authenticité ne doit rien au soutien algérien et qui saura trouver seule la force de vaincre le silence concerté dans lequel on tente de l’ensevelir.