Le moins qu’on puisse dire est que le récent échange de communiqués entre l’Autorité palestinienne et le Hamas, consécutif à la nomination par Mahmoud Abbas d’un nouveau premier ministre, est porteur de désillusions pour tous les partisans de la cause palestinienne.
Répondant au reproche fait par le Hamas, le Djihad Islamique et le FPLP au président de l’Autorité d’avoir procédé à cette nomination « sans consensus national », le mouvement du Fatah a accusé vendredi 15 mars le Hamas « d’avoir causé le retour de l’occupation israélienne de Gaza » en « entreprenant l’aventure du 7 octobre » qui a mené à une « nakba encore plus horrible et cruelle que celle de 1948 ».
Les deux principales organisations palestiniennes se sont mutuellement adressé le reproche d’être déconnectées des réalités vécues par le peuple palestinien. Mais ce qui frappe, c’est l’appréciation faite par le Fatah de la conjoncture actuelle à Gaza et du proche avenir.
A ce propos, et sans qu’il soit nécessaire de se risquer à départager les deux parties sur la globalité de leurs stratégies respectives, il est assez choquant de constater que le Fatah mise sur la réussite de l’opération militaire israélienne et se projette une nouvelle fois dans ce fameux « day after » qui suivrait l’échec politique, militaire et humanitaire de l’opération Déluge d’Al Aqsa.
Que le parti de Mahmoud Abbas se distancie avec une telle ostentation d’une action de résistance sans précédent alors même qu’elle est en cours et qu’elle exige au minimum une unité de façade, et qu’il rende le Hamas responsable des pertes humaines considérables qu’elle a entraînées, accréditant ainsi la propagande de l’ennemi commun, est indigne d’une formation qui fut la première à prôner la résistance par les armes.
Ce discours disculpe en effet Israël des crimes de masse confinant au génocide par les armes et par la famine et à l’urbicide, dont atteste la destruction méthodique de la ville de Gaza et des principales agglomérations de la bande, pour en attribuer la responsabilité au Hamas. Politiquement et symboliquement, le Fatah se démarque ce faisant du message porté par le mouvement de solidarité mondial que l’attaque sauvage d’Israël a suscité en faveur de la cause palestinienne.
C’est un fait sans précédent qu’une organisation pionnière d’un mouvement national anticolonialiste fasse supporter la dette du sang de son peuple, massacré par l’occupant, à une organisation de résistance affiliée à ce mouvement national au motif que c’est cette dernière qui, par l’action armée menée contre l’occupant, aurait provoqué un déchaînement de représailles. Nonobstant les différends qui peuvent exister au sein des formations nationalistes, une telle position est totalement étrangère à l’éthique du combat anticolonial.
Le Fatah confirme qu’il est à l’affût d’une défaite militaire de la résistance à Gaza qu’il avait déjà semblé appeler de ses vœux en décembre dernier lorsqu’il avait fait savoir que ses services étaient prêts à assumer l’administration du territoire quand la guerre y prendrait fin. C’était une façon d’opposer une fin de non-recevoir à l’appel que lui avait lancé le Hamas à « dépasser les accords d’Oslo, à mettre un terme à la coordination sécuritaire et à passer à la résistance totale ». Il était dès lors clair que deux logiques, l’une de résistance et l’autre de fidélité irraisonnée aux accords d’Oslo, s’opposaient de façon irréconciliable. Il était également devenu patent que toute chance que l’offensive du 7 octobre révolutionne l’approche des organisations palestiniennes dans un cadre d’unité de la résistance armée était devenue illusoire.
Mahmoud Abbas semble avoir hâte de passer cette offensive aux pertes et profits de la cause et du peuple palestiniens et de jouer la seule carte du soutien américain et arabe pour empêcher Israël de se réimplanter à Gaza. Semblant s’agacer de la capacité de la résistance à prolonger son opposition par les armes, il avait exprimé son impatience le 12 février dernier quand il avait exigé du Hamas de « conclure rapidement l'accord sur les prisonniers », c’est-à-dire de capituler sans conditions.
Il est tragique que la cause palestinienne, dont le rayonnement mondial n’a jamais été aussi grand, puisse être affaiblie et peut-être compromise par un tel effritement du front intérieur.