Gaza et sa population ne sont plus protégées des visées criminelles d’Israël par aucune règle du droit ni aucun cadre conventionnel.
En prenant le contrôle du point de passage de Rafah et en se déployant au long de l’axe Philadelphie qui sépare la bande de Gaza de l’Égypte sur une largeur d’une quinzaine de kilomètres, Israël a en partie rendu caducs les accords de 1979 conclus avec l’Égypte et réduit à néant ceux de l’accord intérimaire de 1995 signé avec l’Autorité palestinienne (Oslo II).
Le seul rempart contre l’anéantissement de plus d’un million de Palestiniens regroupés à Rafah et fuyant déjà dans la panique par milliers vers une zone prétendument sûre à l’ouest de Khan Younès, est désormais la résistance acharnée à laquelle se préparent les organisations combattantes dont l’ensemble des États protagonistes a juré la perte.
Ils sont livrés aux calculs d’Israël, des États-Unis et de l’Égypte, chez qui la rivalité ne nuira jamais à la coopération car, en dernier ressort, ni les Américains ni les Égyptiens ne manifestent une volonté réelle de faire échouer les plans israéliens.
1) - Israël n’envisage l’invasion de Rafah que dans une logique de terreur susceptible de pousser une population bombardée et exténuée par des déplacements successifs à se précipiter en désordre vers le Sinaï égyptien.
2) - Les États-Unis partagent quoi qu’ils en disent l’objectif stratégique d’Israël consistant à réoccuper toute la bande de Gaza. Ils ont suffisamment montré qu’ils s’opposaient tout aussi fermement que lui à toute idée de cessez-le-feu.
C’est à peine s’ils tentent de faire croire qu’il est possible d’obtenir une liquidation du Hamas en faisant l’économie d’un massacre à grande échelle à Rafah. Mais, en réalité, ayant échoué à faire accepter par la résistance une trêve qui aurait eu valeur de reddition, ils ne feront rien pour empêcher leur allié d’obtenir ce résultat par un déchainement de violence, quel qu’en soit le prix pour la population civile.
A plus long terme, ils se préparent à un avenir qui promet d’être incertain, dérégulé par les reniements conventionnels d’Israël, dans lequel ils auraient à s’imposer comme puissance impériale impliquée sur le terrain.
C’est ainsi qu’ils semblent être convenus avec Tel Aviv que le point de passage de Rafah sera confié au contrôle et à l’administration d’une société américaine de sécurité. A première vue, cette entité aura pour mission de retirer à Israël le monopole de la gestion des flux, notamment en matière d’aide humanitaire, et aussi de réfréner toute velléité d’expulsion des Palestiniens vers le Sinaï égyptien. Mais, comme « elle est constituée d’anciens soldats des unités spéciales américaines », il n’est pas exclu qu’elle en vienne à assister l’armée israélienne dans ses opérations menées contre la résistance palestinienne.
Ce qui est sûr, c’est que les États-Unis, qui sont en train d’achever la construction d’un pont flottant à une dizaine de kilomètres au large de la côte de Gaza, sont décidés à se donner les moyens de dire leur mot dans les décisions qui seront prises à propos de l’avenir du territoire.
3) - Quant à L’Égypte, puissance déchue et humiliée, elle est alignée sur les positions de son tuteur américain qui dit s’opposer à un exode palestinien mais risque de ne rien faire pour l’empêcher.
Dans la faible marge de manœuvre dont il dispose dans ce jeu à trois, le régime d’Al Sissi balance entre le refus ferme d’accueillir des réfugiés sur son territoire et la conscience aigüe de son impuissance à faire échouer le nettoyage ethnique si Israël décidait de l’entreprendre.
De ce fait, parant à toute éventualité, il a aménagé à l’intention d’éventuels flots de réfugiés des zones de parcage sur son territoire, tout en déléguant à une toute nouvelle Union des Tribus du Sinaï, présidée par l’homme d’affaires Ibrahim Al-Argany, un truand sans scrupules qu’il a pris à sa solde, la mission de repousser par la violence tout franchissement massif de la frontière.
De sorte que, dans le scénario le plus terrible que pourrait produire l’invasion de Rafah, les familles palestiniennes pourraient se retrouver prises entre deux feux : l’exode forcé provoqué par Israël et le barrage meurtrier que lui opposeraient les milices tribales égyptiennes. Cette hypothèse du pire n’est pas à exclure et l’Égypte préfère l’envisager cyniquement sans aller jusqu’à y impliquer directement son armée régulière et prendre le risque d’une confrontation avec l’armée israélienne.