Coloniser, négocier, exterminer... Émouvoir

Ce qui se passe en Cisjordanie est l’indicateur le plus éloquent des intentions israéliennes en Palestine. Mieux encore, c’est le révélateur du processus en cours de liquidation de la Palestine que cautionnent les États occidentaux et les États arabes, les uns activement, les autres par leur attentisme.

Les autorités israéliennes livrent actuellement la zone C définie par les accords d’Oslo comme relevant de leur contrôle et qui représente 60% des territoires occupés, au diktat des colons qui en excluent par les armes les occupants palestiniens de leurs exploitations, détruisant les habitations, les réservoirs d’eau et les panneaux solaires.

L’aveuglement d'Oslo

L’aveuglement de la direction palestinienne qui a signé les accords de 1993 devient, au regard de ces événements, de plus en plus évident. En acceptant que la plus grande partie de la Cisjordanie demeure sous contrôle israélien, ils l’ont d’abord abandonnée à l’arbitraire de l’administration et de l’armée israélienne, leur permettant ensuite de planifier une politique d’implantation coloniale illimitée qui affecte aujourd’hui à l’exécution du projet de nettoyage ethnique des milices fanatisées.

C’est la preuve que ceux qui continuent à parler depuis le 7 octobre de guerre Hamas/Israël ou même Hamas/Likoud sont des mystificateurs. La guerre menée contre Gaza n’est que le versant sanguinaire et tragiquement démonstratif d’une stratégie que les signataires israéliens des accords d’Oslo avaient froidement préméditée : une stratégie visant à l’expulsion par la violence de la totalité des Palestiniens résidant sur les territoires qu’avait épargnés l’exode de 1948.

Il n’y a donc pas lieu de faire le tri entre les différentes directions qui ont gouverné Israël depuis sa création. De la gauche de Ben Gourion aux nervis d’extrême droite alliés à Netanyahou, en passant par Itzhak Rabin, la fidélité au projet sioniste est restée la même puisqu’il n’a jamais été question depuis le début que de prendre possession, en alternant la guerre et la négociation, de l’intégralité du territoire de la Palestine historique pour en faire la terre judaïsée d’un État juif, ce qui rend caduc le débat sur l’alternative solution à deux États/solution de l’État unique partagé.

La poursuite de la guerre par d'autres moyens

Plus que jamais, la similitude entre les méthodes et les objectifs sionistes et ceux qui ont permis de sortir les Amérindiens de leurs terres ancestrales et de l’Histoire est indéniable. Elle nous rappelle que la violence extrême est à l’essence de tout processus colonial, dans lequel la négociation n’est que la poursuite de la guerre par d’autres moyens.

Les accords d’Oslo ont eu en Palestine la même fonction que les traités successifs qui ont fini par enfermer la nation Sioux dans quelques confettis de territoires. Le premier traité de Laramie de 1851 a reconnu aux Indiens la propriété des Grandes plaines à la condition que les États-Unis puissent « y construire des forts et y tracer des routes pour la colonisation ». Le second traité du même nom, signé en 1868, « établit "une Grande Réserve Sioux" protégée des incursions des colons mais placée sous le contrôle du Gouvernement qui y établira des "agences" »*.

Mais, sous la pression de la colonisation, Washington en venait à considérer en 1889 que ce traité était obsolète et restreignait ce territoire à cinq mini-réserves à l’intérieur desquelles la totalité de la nation Lakota était littéralement incarcérée. Un an plus tard, le 29 décembre 1890, l’ultime résistance Lakota était liquidée à la faveur du massacre de Wounded Knee.

Les accords d’Oslo sont un étonnant concentré des traités signés entre les États-Unis et les Lakotas. La Cisjordanie y est la Grande Réserve qui leur est reconnue en vertu de la résolution 242 des Nations-Unis, qui n'a pas connu le moindre début d'application.

Les zones B du « contrôle partagé » (22% des territoires occupés) et C du « contrôle israélien » (60%) y préfiguraient les annexions à suivre, actuellement en bonne voie, en attendant que les « mini-réserves » résiduelles de la zone A (18%) où se retranchent sous bonne garde l’Autorité palestinienne et le Hamas soient à leur tour annexées, après un nettoyage ethnique par tous les moyens du crime de masse.

Une arme comme les autres

On voit donc à quel point la publicité faite sur les « atrocités terroristes » du Hamas qui a permis de convoquer les « pogroms » et l’ « Holocauste » n’était que mystification. En misant sur l’insubmersible argument de l’antisémitisme, cette propagande a donné crédit à l’idée ancrée depuis 75 ans du droit d’Israël à se défendre.

C’était aussi une diversion qui polarisait les regards sur Gaza et sur le Hamas pour mieux les détourner de l’enjeu autrement plus complexe qu’est l’appropriation de la Cisjordanie. En définitive, la légitimation de la sauvagerie génocidaire à l’œuvre à Gaza est implicitement et sournoisement étendue aux crimes invisibilisés commis jour après jour en Cisjordanie, selon la méthode éprouvée en 1948.

Il faut renverser l’adage et dire : « A trop vouloir émouvoir, on tue l’analyse ». On ne dira jamais assez que, dans ce monde dominé par le cynisme des intérêts, l’émotion est une arme comme les autres qui n’a pas plus à voir avec les sentiments que les rugissements du prédateur avec la compassion. En tant que telle, elle est régie comme toutes les armes par le rapport de forces. Le protagoniste le plus puissant, le plus influent, est celui qui fera le plus pleurer dans les chaumières.

Il était donc capital de ne pas céder à l’injonction de dénoncer « les crimes du Hamas » dictée par ceux qui louent les « précautions humanitaires » prises par l’aviation israélienne avant d’écraser Gaza sous les bombes.

Tels sont les différents facteurs mobilisés pour menacer la Palestine dans sa survie. Mais le dernier mot ne sera pas dit tant que la résistance n'est pas vaincue. Les régimes arabes, quant à eux, démontrent qu’ils savent préserver leur survie … dans l’indignité.


* Les citations sont extraites du livre de Laurent Olivier, "Ce qui est arrivé à Wounded Knee, L’enquête inédite sur le dernier massacre d’Indiens", Flammarion, 2021, pp. 32 à 36.

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