« La guerre, c’est la paix », à propos de la trêve olympique

La trêve olympique 2024 est en principe entrée en vigueur le 19 juillet dernier. Et pourtant, Un flot d’images nous parvient de façon ininterrompue qui atteste que la routine génocidaire déroule jour après jour ses massacres à Gaza comme si la mort avait tenu à maintenir la régularité des coups qu’elle porte depuis plus de 300 jours selon un programme aussi ponctuel que celui des compétitions olympiques de Paris.

Où est la guerre ? Où est la paix ?

Mais cela signifie-t-il pour autant que la trêve olympique n’existe pas ? La réponse n'est pas simple car la question de la guerre et de la paix a toujours été complexe et n’a jamais été qu’une affaire de point de vue.

Où est la guerre, où est la paix ? Est-ce que ce sont des catégories antinomiques ? Apparemment non, si l’on considère par exemple que l’enfer de Gaza et l’îlot de quiétude que les services de sécurité français ont aménagé à Paris pour la communion sportive entre les Nations n’ont pas plus ni moins de réalité l’un que l’autre. Ce dernier a même du fait de sa nouveauté plus de vitalité que les massacres de Palestiniens qui, se répétant sans fin depuis 10 mois, sont devenus lassants et sont atteints par cette sorte particulière de péremption décrite dans l’œuvre de George Orwell, 1984 : « Le mot "guerre" lui-même, est devenu erroné. Il serait probablement plus exact de dire qu'en devenant continue, la guerre a cessé d'exister. La guerre, c'est la paix ».

Trop de guerre tue la guerre, en quelque sorte ! Et c’est sans doute ce qui explique que l’armée israélienne a décidé de muter certains de ses réservistes de Gaza au village olympique parisien : la péremption de la guerre rendait leur présence plus vendeuse en territoire pacifié !

« La guerre, c’est la paix » : l’Europe a sans cesse au cours de l’histoire cultivé cette double pensée. Ses historiens ont longtemps considéré que le continent a vécu en paix pratiquement tout le 19e siècle, entre les guerres napoléoniennes et la première guerre mondiale. Leurs armées n’avaient pourtant pas chômé puisqu’elles ont dévasté dans cet intervalle les quatre autres continents. Comme le relève Silvain Venayre :

« Des États européens avaient conduit des campagnes militaires qui ne portaient pas le nom de guerre et qui, de ce fait, passaient inaperçues (…) Les Européens prétendaient lutter là-bas contre des insurrections ou des rébellions. Leurs ennemis n’étaient pas désignés comme des soldats mais comme des pirates, des assassins, des bandits, des brigands, des sauvages, au mieux d’éternels guerriers. Les violences qu’ils assumaient s’appelaient campagnes, expéditions, punitions, vengeances, représailles ».

A l'abri de l’apocalypse que leurs États déchaînaient aux antipodes, les penseurs du siècle théorisaient la paix dont il était fait don à l’Europe et Tocqueville, par exemple, pouvait « prévoir l’avènement de la démocratie pacifique » tout en jugeant que, « en Algérie, il fallait brûler les moissons, vider les silos, s’emparer des hommes sans armes, des femmes et des enfants ».

« La guerre, c’est la paix » : au Moyen Age déjà, l’Église catholique, qui détenait alors des pouvoirs séculiers importants du fait que sa hiérarchie se recrutait dans la haute aristocratie, n’appelait la paix de ses vœux que sur les terres chrétiennes d’Europe, déchirées par les guerres incessantes que se livraient les seigneurs féodaux. Elle s’était donc arrogé une prérogative de maintien de la paix, mais entre les seuls chrétiens. De sorte que la « paix de Dieu » qu’elle invoquait était synonyme d’appels répétés à une guerre mise au service de l’expansion du christianisme. Les « conciles de paix » ne se réunissaient que pour sanctifier la guerre, pour mobiliser les contingents nécessaires aux croisades contre les Turcs et les Sarrasins. « Il s’agissait en somme, comme l’écrit l’historien Jean Wirth, de favoriser la paix entre chrétiens en mettant la guerre au service de l’expansion du christianisme ».

Une question de perspective

La paix, qu’elle soit durable ou qu’elle ne soit qu’une trêve de la violence, n’a donc jamais été qu’une question de perspective. Observé par le petit bout de la lorgnette, le monde peut être réputé jouir d’une paix perpétuelle. Et la trêve olympique doit toute sa consistance à cet effet d’optique.

Ayant un caractère purement incantatoire, celle de 2024 a été votée le 21 novembre 2023 par l’Assemblée générale des Nations-Unies en vertu d’une résolution intitulée « pour l’édification d’un monde pacifique et meilleur grâce au sport et à l’idéal olympique ».

Comme toutes les résolutions de l’Assemblée générale, celle-ci n’était qu’une pétition de principes procurant aux consciences une satisfaction aussi pleine que possible. A défaut de pouvoir s’appliquer, elle constituait une sorte de profession de foi, une prière surérogatoire dont se fendait la communauté internationale, résignée par avance à sa parfaite inutilité.

Cette tradition avait été instaurée par une précédente résolution datée du 25 octobre 1993 par laquelle l’Assemblée générale engageait les États Membres à « observer la Trêve olympique du septième jour précédant l’ouverture des Jeux olympiques jusqu’au septième jour suivant leur clôture ».

Ainsi formulée dans les termes d’une obligation rituelle, la recommandation avoue l’impuissance des Nations-Unies : incapables d’assurer le maintien de la paix par leur organe le plus influent, le Conseil de sécurité, elles délèguent à l’Assemblée générale la mission d’appeler mollement à une trêve olympique illusoire, calquée sur les « trêves de Dieu » que L’Eglise catholique médiévale limitait elle aussi à quelques dates du calendrier liturgique .

Désarmer la guerre ou armer la trêve

Il s’agit ainsi d’une trêve qui s’assume comme étrangère à l’ordre du monde, n’ayant pas plus de chance de se réaliser dans le champ matériel qui seul relève de la compétence des Nations-Unies que la « paix de Dieu » que l’Église catholique a célébrée le 19 juillet dernier à la cathédrale parisienne de la Madeleine au cours d’une messe pour le « lancement de la trêve olympique ».

La cérémonie avait en principe pour avantage d’être dégagée de toute obligation d’accomplissement terrestre, ce qui aurait dû y favoriser un esprit de compassion dénué de tout calcul. Ce ne fut pas le cas : la directrice de l’organisation « Holy Games » à qui cette initiative revenait au nom de l’Église de France n’a certes pas manqué de proclamer son désir de porter, à travers la « communauté de prière » « un désir de paix » mais elle ne s’en est pas moins déclarée « touchée » d’avoir pu recevoir en la circonstance « la représentation diplomatique d’Israël ». L’Église de France, dans un dernier sursaut de l’esprit de croisade, se lavait ainsi les mains sans état d’âme du génocide de Gaza.

Voilà où on en est. Deux des institutions les plus influentes du monde, l’une séculière l’autre religieuse, nous assurent chacune selon les codes de sa liturgie que nous sommes en pleine trêve olympique. On peut le croire, estimer dès lors que les massacres de Gaza ne sont qu’une illusion d’optique et qu’il suffit de retourner notre lorgnette pour jouir du spectacle de la paix de Dieu et des hommes; et puis, sans le moindre remords, profiter des exploits des athlètes.

Mais on peut aussi bien en douter.

Car il n’y a que deux manières de s’y retrouver, exclusives l’une de l’autre :

- ou bien on considère que la trêve a désarmé la guerre génocidaire de Gaza et l’a retirée de l’affiche ;

- ou bien on considère que la guerre a armé la paix olympique et, par la seule présence des athlètes israéliens aux jeux, a converti le pain et le vin offerts sur les autels de la grand-messe parisienne en corps démembrés et en fleuves de sang palestiniens.

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